Expulsion des Palestiniens hors de Gaza : Donald Trump maintient sa ligne et ravive les tensions

"Nettoyer" Gaza en incitant les "nations arabes" à accueillir sa population : la dernière idée de Donald Trump continue de provoquer, mercredi 29 janvier, un tollé au Moyen-Orient et en Europe, pourtant habitués aux déclarations chocs du nouveau locataire de la Maison Blanche.

Alors que la quasi-totalité des 2,4 millions d'habitants de la bande de Gaza, assiégée par Israël, ont été déplacés par la guerre, le président américain avait suggéré samedi de les envoyer en Jordanie et en Égypte. Une solution qui, selon lui, permettrait de "faire le ménage" dans l’enclave palestinienne, citant le roi Abdallah II de Jordanie et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi comme partenaires potentiels.

"J'espère qu'ils prendront [des Gazaouis]. Nous les avons beaucoup aidés, je suis sûr qu'il nous aidera", a-t-il déclaré à propos du chef de l’État égyptien, avant d'ajouter : "Je pense que le roi de Jordanie le fera aussi."

Une proposition aussitôt rejetée par les deux pays, qui refusent catégoriquement tout déplacement forcé des Palestiniens. "L'expulsion et le déplacement des Palestiniens de leur terre est une injustice à laquelle nous ne prendrons pas part", a martelé mercredi Abdel Fattah al-Sissi. De son côté, le roi Abdallah II a réaffirmé dans un communiqué "la position ferme" de la Jordanie sur la nécessité pour les Palestiniens de rester "sur leurs terres".

Cette prise de position de Donald Trump intervient à un moment critique du conflit ayant opposé Israël et le Hamas pendant 15 mois – et ayant fait plus de 47 000 morts à Gaza. Après plus d'un an de négociations, un cessez-le-feu en trois phases est entré en vigueur le 19 janvier. La prochaine étape des pourparlers, cruciale pour tenter de mettre fin à la guerre, doit débuter lundi prochain.

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"Tenter d'intimider" l'Égypte et la Jordanie

Alors que diplomates et éditorialistes dénonçaient une volte-face de Donald Trump sur la résolution du conflit israélo-palestinien basée sur la coexistence de deux États, une question persiste : faut-il vraiment prendre cette proposition au sérieux ?

"En tant qu'analyste politique, je dirais que non. C'est une distraction qui détourne l'attention des efforts réels pour faire avancer un cessez-le-feu. Et c’est une distraction par rapport à ce qui pourrait réellement se passer à Gaza à l'avenir", estime Hugh Lovatt, chercheur en politique au Conseil européen pour les relations internationales.

Mais d'un autre côté, le chercheur admet qu’il est important "d’en parler car il s'agit du président des États-Unis. Son plan ne verra pas le jour, j’en suis convaincu. Mais en redoublant d’efforts, il pourrait essayer de faire peser le poids des États-Unis sur cette question." Des efforts qui pourraient se traduire par des pressions sur l’Égypte et la Jordanie, les deux voisins d’Israël bénéficiant de l’aide américaine.

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Le jour de son investiture, le président américain a signé un décret ordonnant le gel de l'aide étrangère des États-Unis pour 90 jours, le temps d'un réexamen complet de celle-ci. Marco Rubio a ensuite précisé que l'Égypte, Israël et l'aide alimentaire d'urgence étaient exemptés.

"Donald Trump pourrait tenter d’intimider les Égyptiens ou les Jordaniens, mais il aura du mal avec les Jordaniens, pour qui l’idée d’un afflux supplémentaire de Palestiniens est perçue comme une question existentielle", analyse Hugh Lovatt. "Il pourrait brandir la menace d’une suspension de l’aide à l’Égypte, l’une des dernières bénéficiaires de l'aide américaine. Même si son idée ne se réalisera pas, cela ne signifie pas qu’il n’essaiera pas."

Côté israélien, le Premier ministre Benjamin Netanyahu n'a pas fait de commentaire. "Il n'a jamais soutenu publiquement un tel plan et maintient qu’Israël ne veut ni administrer ni occuper Gaza. Mais les éléments d’extrême droite de son gouvernement poussent pour l’expulsion des Palestiniens", note James Dorsey, chercheur à la S. Rajaratnam School of International Studies, basée à Singapour.

Renforcement du Hamas et "surenchère amicale" avec Riyad

Si les dirigeants arabes rejettent le projet de Donald Trump, certains experts estiment qu’il pourrait au contraire renforcer le Hamas à Gaza et en Cisjordanie, toute tentative d’expulsion des Palestiniens rappelant la Nakba – la "catastrophe" que fut pour eux la création d'Israël en 1948. "Le Hamas se présentera comme le seul acteur palestinien capable d'empêcher un tel scénario, face à une Autorité palestinienne affaiblie et à l’expansion des colonies en Cisjordanie", analyse Hugh Lovatt.

Malgré l’offensive israélienne visant à l’anéantir, le Hamas a réussi à faire une démonstration de force lors de la remise des otages israéliens dans le cadre du cessez-le-feu à Gaza. Samedi, une cérémonie publique rassemblant des milliers de personnes a mis en scène des membres du Hamas masqués brandissant des fusils automatiques. "Le soutien de Trump à ce plan pourrait renforcer l’adhésion des Palestiniens à la résistance armée et au Hamas", avertit James Dorsey.

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Selon le chercheur, ce plan controversé pourrait également porter un "coup d’arrêt brutal" aux efforts saoudiens pour pousser Donald Trump à soutenir la création d’un État palestinien viable, condition posée par Riyad pour adhérer aux accords d’Abraham – des traités de paix signés sous l’égide des États-Unis et promouvant la normalisation des relations d'Israël avec ses voisins.

"Ce plan fait suite à une surenchère amicale entre Trump et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane", explique James Dorsey. Après sa réélection, Donald Trump a envisagé de faire son premier voyage en Arabie saoudite, comme en 2017, en échange d’investissements colossaux. Lors d’un appel téléphonique, Mohammed ben Salmane a promis 600 milliards de dollars d’investissements aux États-Unis, avant que Donald Trump ne l’incite à "arrondir" à 1 000 milliards.

Une négociation désormais plombée par la proposition explosive du président américain de déplacer les Gazaouis. Donald Trump "met l’idée d’un État palestinien à la poubelle et risque de radicaliser l’opinion publique saoudienne, arabe et musulmane", prévient James Dorsey dans sa chronique et son populaire podcast "The Turbulent World" ("le monde en ébullition").

L'Europe veut la "stabilité", pas des migrants

De leur côté, la France et l'Allemagne ont qualifié d'"inacceptable" l'idée d'expulser les Gazaouis, tandis que le ministre espagnol des Affaires étrangères a déclaré que la position de Madrid était "claire : les Gazaouis doivent rester à Gaza".

"Les Européens ont généralement tendance à ignorer les propos de Donald Trump et à espérer qu'il oublie et passe à autre chose", résume Hugh Lovatt. "Mais son plan pourrait déstabiliser des partenaires clés et nuire aux intérêts de l’UE, qui cherche avant tout la stabilité de son voisinage et à prévenir les flux migratoires."

Sur place, malgré les destructions, des centaines de milliers de déplacés ont regagné le nord de Gaza avec la volonté de reconstruire. "Donald Trump sous-estime l'attachement des gens à leur terre, en particulier des Palestiniens. Même avec une offre sur la table, l’écrasante majorité d’entre eux n’abandonneraient pas Gaza", conclut Hugh Lovatt.

Cet article a été adapté de l'anglais par Barbara Gabel. L'original est à retrouver ici.