Crise climatique : on vous explique pourquoi la décision de la justice internationale sur l'aide aux pays pauvres, attendue mercredi, est cruciale
C'est un avis qui risque de faire date. La Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction des Nations unies, doit se prononcer mercredi 23 juillet sur la lutte contre le changement climatique et l'aide à fournir aux nations les plus exposées et les plus vulnérables. Franceinfo résume pourquoi la décision inédite de cette instance qui siège à La Haye (Pays-Bas) est cruciale.
Parce que c'est le premier avis du genre
La CIJ, principal organe judiciaire des Nations unies, se prononce habituellement sur des litiges entre Etats, ou des conflits. En juillet 2024, elle avait estimé illégale les colonies israéliennes en territoire palestinien. En 2007, elle avait reconnu le massacre de Srebrenica de 1995 comme un génocide. En 2004, l'instance avait déclaré que la décision d'Israël de construire un mur avec la Palestine était contraire au droit international.
Sous l'impulsion du petit Etat insulaire du Vanuatu, l'ONU a demandé en 2023 à la cour de répondre à deux questions : quelles obligations les Etats ont-ils en vertu du droit international pour protéger la Terre contre les émissions de gaz à effet de serre ? Quelles sont les conséquences juridiques de ces obligations, lorsque les Etats, "par leurs actes et leurs omissions, ont causé des dommages importants au système climatique" ?
Ces deux interrogations portent sur des sujets majeurs. Il s'agit d'un "défi sans précédent de portée civilisationnelle", selon la résolution adoptée à l'unanimité le 29 mars 2023 au siège de l'ONU, texte qui entérinait officiellement la demande auprès de la Cour internationale de justice. "Ensemble, vous écrivez l'histoire", avait lancé le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, à la tribune. "L'issue de ces procédures aura des répercussions sur plusieurs générations, déterminant le sort de nations comme la mienne et l'avenir de notre planète", a déclaré Ralph Regenvanu, envoyé spécial pour le changement climatique au Vanuatu, à l'ouverture des audiences devant la CIJ, en décembre 2024.
Parce qu'elle ouvre une nouvelle voie face aux COP décevantes
Le processus des COP, "qui dure depuis 30 ans, n'a pas fait avancer grand-chose", a cinglé Ralph Regenvanu, à Nice, en marge de la 3e Conférence des Nations Unies sur l'Océan (Unoc-3). "On a parlé de financement de la lutte contre le changement climatique : nous n'avons rien vu venir. Les engagements pris [dans le cadre de l'accord de] Paris ? Ils n'ont eu aucun effet", a-t-il tranché. "Nous voulions donc voir si nous pouvions faire en sorte que le droit international commence à imposer certaines exigences."
Les conférences annuelles onusiennes sur le changement climatique sont souvent critiquées pour leur inertie, voire reculs. L'accord de la COP29, qui s'est tenue en novembre 2024 à Bakou (Azerbaïdjan), a rehaussé timidement les objectifs de financement de la transition. Les pays riches ont accepté de dégager au moins 300 milliards de dollars par an d'ici à 2035 pour financer la lutte contre le réchauffement climatique. C'est trois fois plus que le précédent accord, fixé lors de la COP15, mais c'est deux fois moins que ce que réclamaient les pays en développement, et un effort très réduit si l'on prend en compte l'inflation, ont dénoncé les ONG.
Mais surtout, l'accord prévoit le statu quo, entre autres sur les énergies fossiles. En effet, toute mention explicite à la "transition" vers la sortie des énergies fossiles, principal acquis de la COP28 de Dubaï, a disparu dans la finalisation des principaux textes. Et la COP29 n'est pas la seule édition décevante de ces dernières années. La COP27 en fait partie, tout comme la COP26, la COP25, la COP24, ou encore la COP23.
Face à cette situation, les pays pauvres et vulnérables cherchent de nouvelles voies pour avancer, notamment dans la résolution des "pertes et dommages" (aussi appelés "pertes et préjudices"), qui sont l'un des sujets les plus brûlants des négociations climatiques. Cela désigne les dégâts déjà provoqués par des événements extrêmes, comme des inondations monumentales ou des vagues de chaleur intenses, et par des phénomènes plus lents comme la montée du niveau marin qui menace des Etats insulaires comme le Vanuatu. Or, il s'agit de réparer une injustice climatique fondamentale : les pays les plus pauvres sont les plus touchés par ces "pertes et dommages", alors qu'ils sont les moins préparés pour les affronter, et les moins responsables du réchauffement global.
Parce qu'elle doit fournir un cadre juridique mondial
Les avis de Cour internationale de justice ne sont pas contraignants et n'impliquent pas de sanctions. Ils posent toutefois des lignes directrices qui bénéficient d'une influence mondiale, a estimé en juin Géraldine Giraudeau, professeure de droit international et membre de l'Institut universitaire de France, auprès de France Culture.
"Les avis de la CIJ ont souvent des effets indirects parce que ces avis sont dotés d'une très grande aura."
Géraldine Giraudeau, professeure de droit internationaldans l'émission "Cultures Mondes" sur France Culture
Selon la spécialiste, l'avis de la CIJ "pourra être utile comme outil de négociation, peut-être surtout pour les 'pertes et préjudices'" et pourra servir "dans d'autres procédures, d'autres procès". Joie Chowdhury, juriste au Centre pour le droit international de l'environnement, basé aux Etats-Unis et en Suisse, estime que la décision fournira "un schéma juridique" général sur lequel "des questions plus spécifiques pourront être décidées". Les avis de la CIJ "clarifient la manière dont le droit international s'applique à la crise climatique, ce qui a des répercussions sur les tribunaux nationaux, les processus législatifs et les débats publics", abonde Andrew Raine, du département juridique du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). "Cela n'oblige pas les Etats à agir, mais cela leur montre où en est la loi et dans quelle direction ils doivent aller."
Mais quelle sera la portée concrète de cet avis non contraignant alors que les questions environnementales subissent un revers partout dans le monde et que le droit international est malmené ces dernières années ? "Il y a lieu de s'inquiéter sur les éventuels effets que pourrait avoir l'avis quand on regarde d'autres événements et que l'on n'arrive pas à faire respecter les principes les plus élémentaires du droit international humanitaire", concède Géraldine Giraudeau. "Je crains que les espoirs soient un peu retombés [depuis le début de l'initiative lancée par le Vanuatu] mais cela reste néanmoins quelque chose d'extrêmement attendu, et qui va être très important pour la suite", avance l'experte.
Depuis le XIXe siècle, la température moyenne de la Terre s'est réchauffée de 1,1°C. Les scientifiques ont établi avec certitude que cette hausse est due aux activités humaines, consommatrices d'énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Ce réchauffement, inédit par sa rapidité, menace l'avenir de nos sociétés et la biodiversité. Mais des solutions – énergies renouvelables, sobriété, diminution de la consommation de viande – existent. Découvrez nos réponses à vos questions sur la crise climatique.