Guerre en Ukraine : inquiétude pour la carte Deep State, précieux miroir du conflit

La ligne de front apparaissait figée depuis le 21 décembre. Ceci ne reflète pas la réalité des combats, les Russes avançant d’une quinzaine de kilomètres carrés par jour dans le Donbass, mais la carte géolocalisée Deep State qui produit depuis le début de la guerre une information précieuse sur le conflit russo-ukrainien, n’a plus été mise à jour pendant plus de 48 heures, avant une actualisation ce mardi 24 décembre à la mi-journée. Auparavant, l’équipe d’OSINT (recherche en source ouverte, NDLR) ukrainienne abreuvait quotidiennement et même plusieurs fois par jour son canal Telegram et sa précieuse carte d’informations sourcées, authentifiées et géolocalisées. L’on pouvait ainsi suivre le déroulé des opérations militaires, quasiment mètre après mètre, avec une description scrupuleuse des assauts de chaque camp. Deep State n’a jamais caché être du côté de l’Ukraine, son pays pour lequel elle se bat, mais n’a jamais versé dans la propagande de guerre : sa rigueur en a fait une référence. Tous les analystes du conflit - jusqu’aux militaires dans les états-majors - scrutent avec attention chaque jour les zones en rouge ou en bleu qui représentent les changements de ces 24 dernières heures.  

Silence radio ou presque, pourtant, ces derniers jours. Pas tout à fait néanmoins. Dans un message à la tonalité inquiète, l’équipe de Deep State a reconnu implicitement, lundi 23 décembre, des pressions du commandement ukrainien. «Nous avons toujours œuvré et fait le maximum d’efforts pour la victoire, et aidé nos soldats et notre pays. C’est pourquoi nous avons une réputation d’acier et la confiance de la société mais surtout des militaires, écrit l’équipe sur son canal Telegram. C’est pourquoi aussi nous tenons à jour la carte du conflit russo-ukrainien la plus célèbre non seulement en Ukraine mais aussi dans le monde. Malheureusement, tous les commandants en chef n’aiment pas la vérité, et c’est une honte.» Une critique directe contre le général à la tête des forces ukrainiennes, Oleksandr Syrsky.

«L’état-major a sa propre vérité sur la situation militaire ’contrôlée’»

Une députée à la Rada ukrainienne, Maryana Bezugla, qui déclarait récemment dans la presse ukrainienne exercer «un contrôle démocratique civil nécessaire en temps de guerre», a volé au secours de Deep State et a émis quelques hypothèses sur la suspension de la carte. «Syrsky, au lieu de stabiliser la défense, a lancé une attaque contre l’équipe DeepState - le dernier bastion d’informations plus ou moins précis sur la ligne de front», éructe la parlementaire, membre du parti de Volodymyr Zelensky, «Serviteur du peuple», qui évoque l’hypothèse - non confirmée - d’une «mobilisation» des membres de l’équipe de Deep State «dans l’infanterie», du lancement d’une enquête du SBU (le service de sécurité de l’État) et de «toutes sortes de discrédits» portés contre le projet d’OSINT. «L’état-major a sa propre vérité sur la situation militaire ’contrôlée’», ironise Maryana Bezugla qui déclare en avoir «assez» des «faux rapports»

«Chaque jour, c’est quasiment la seule source d’information pour comprendre ce qui se passe, tant pour les civils que pour les militaires», a salué la députée ukrainienne qui s’est adressée directement au président Zelensky : «Volodymyr Oleksandrovich, alors où allons-nous ?». L’inquiétude de Deep State révèle la fébrilité des autorités ukrainiennes, qui font face à des critiques de plus en plus vives sur la gestion du conflit par le commandement militaire, notamment en matière de ressources humaines. Même si la défense ukrainienne ne s’effondre pas, la situation tactique se dégrade de jour en jour, notamment dans l’oblast de Donetsk, où les Russes progressent à l’intérieur de quatre villes (Toretsk, Chasiv Yar, Kourakhove, Velyka Novossilka) et sont à deux kilomètres seulement de Pokrovsk, nœud logistique clé du Donbass, et de Koupiansk, plus au Nord. Le saillant ukrainien de Koursk, en Russie, s’est aussi réduit de moitié depuis la fin du mois d’août, passant de plus de 1000 km2 à moins de 500 km2.

Surtout, les Ukrainiens manquent d’hommes sur le terrain, avec des désertions en forte hausse (5000 environ par mois, selon les chiffres du ministère de la Justice), une mobilisation contestée, des formations trop brèves et de nouvelles unités démembrées pour tenter de combler les pertes sur le front. Chaque jour, Deep State se fait le douloureux miroir de cette réalité difficile pour Kiev. «Je suis choqué», a écrit sur X Julian Röpcke, le spécialiste des questions militaires au journal allemand Bild, qui utilise les cartes de cette «communauté open source bénévole». «L’Ukraine ne gagnera certainement pas la guerre en faisant taire ses citoyens», conclut le journaliste.