Nord-Mali : les Touaregs récupèrent des vidéos trouvées sur des cadavres de mercenaires de Wagner

Le 25 juillet 2024, dans la région de Tinzawaten au nord du Mali près de la frontière algérienne, des combats ont éclaté entre les rebelles touaregs du CSP- DPA (Cadre stratégique permanent pour la paix), le JNIM (Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans, affilié à Al-Qaïda) et leurs ennemis des forces armées maliennes (FAMA) et du groupe Wagner - également appelé Africa Corps.

Lors des combats, les troupes de la junte et les mercenaires russes subissent une défaite importante. Au total, selon les rebelles du CSP, 84 membres de la milice russe trouveront la mort dans l’embuscade. Dans un post Telegram qui résume les événements, le groupe Wagner admet avoir été obligé de se replier. Le groupe reconnaît également la mort du commandant Sergei Shevchenko dit “Prud” (“Étang” en français).

Cette bataille est le résultat de la progression d’une colonne des forces armées maliennes et de Wagner en provenance de la ville de Tessalit. C’est au sud-ouest de la ville de Tinzawaten que la colonne de véhicules sera prise en embuscade par le JNIM au nord et le CSP au sud.

Pour les rebelles, ces pertes constituent une aubaine. Des véhicules ont été abandonnés et de nombreux combattants, dont des hommes de Wagner, ont été faits prisonniers.

À partir du 9 août, plusieurs vidéos issues des téléphones ou des caméras appartenant aux combattants du groupe Wagner ont circulé sur les réseaux sociaux. Ces images semblent avoir été trouvées sur les équipements des hommes de Wagner morts au combat. En effet, ces derniers étaient pour certains équipés de matériel audiovisuel.

Une source proche des combattants touaregs qui s’est rendue à Tinzawaten après les combats a envoyé aux Observateurs des photos de matériel récupéré par les rebelles sur les corps des mercenaires russes ; parmi elles, une photo d’une caméra GoPro.

Des vidéos prises sur les corps des hommes de Wagner

Ces images rares de l’activité du groupe Wagner en Afrique ont été analysées par la rédaction des Observateurs. Elles montrent la guerre menée par Wagner au Nord-Mali, mais aussi, les derniers instants des mercenaires russes avant leur mort.

Le 8 août, une première vidéo paraît sur les réseaux sociaux. La vidéo montre les hommes de Wagner et des forces armées maliennes procéder à l’interrogatoire d’une femme logée dans une tente.

Au cours de la vidéo, un mercenaire russe parle en français à ses homologues de l’armée malienne. On y entend les membres de la milice russe directement questionner, et parfois menacer, la femme présente dans la tente : “As-tu vu des groupes armés circuler par ici ? [...] Tu dois collaborer avec nous et nous dire toute la vérité, sinon on va te déshabiller.” Quelques minutes plus tard, les Russes la menacent de l’exposer à nu devant d’autres femmes du village si elle ne parle pas. De son côté, la femme dit ne pas avoir d’informations sur les groupes armés. Les images de la vidéo ne permettent pourtant pas d’affirmer si la femme a été déshabillée ou non.

Sur cette vidéo, un visage russe attire l’attention des comptes touaregs. Selon eux, l’un des mercenaires de Wagner est reconnaissable sur des images de la bataille de Tinzawaten. Il est cependant impossible de vérifier l’identité de ce cadavre de façon indépendante.

Tinzawaten : les derniers instants d’un mercenaire de Wagner

Une deuxième vidéo est parue le 9 août. Celle-ci, une séquence de 4 min 40 divisée en deux morceaux de 2 min 20, montre ce qui serait les derniers instants d’un combattant de Wagner. On y voit un soldat de Wagner - en plein désert - déplacer une caisse de munitions près d’un lance-grenades de type AGS-17.

Ces images ont été tournées pendant la bataille de Tinzawaten. En effet, à la fin de la vidéo, il est possible d’apercevoir une plaque d’immatriculation de véhicule identique à une image de 4X4 capturée par les Touareg et postée le 27 juillet. Ainsi, la présence de ce même véhicule sur les deux vidéos permet de déduire que les vidéos filmées par les russes proviennent bien de la colonne de Wagner qui a été décimée à Tinzawaten.

Selon un post Telegram publié par la chaîne “Wagner_group2022” qui relaie les activités du groupe en Afrique, la vidéo de la bataille était filmée par Nikita Fedyanin, surnommé “Belyi” (Blanc), l’administrateur du célèbre canal des combattants de Wagner Grey Zone. Selon “Wagner_group2022” : “Il est possible d’affirmer avec un haut niveau de probabilité que l’opérateur avec la caméra est [...] l’administrateur de la chaîne ‘Grey Zone’. Nos contributeurs ont reconnu son écharpe ainsi que sa montre”. Le post se poursuit ainsi : “Nikita ‘Belyi’ Fedyanin est mort au combat le 27 juillet, lorsque nos hommes sont tombés dans une embuscade tendue par des combattants ennemis.”

Une analyse de la vidéo confirme que le soldat qui filme porte à son bras droit une montre avec un bracelet de couleur sable. La même montre apparait également sur une photo de Nikita Fedyanin postée le 20 juillet sur le compte “Grey Zone”.

Autre détail : les chaussures tactiques. Reconnaissable à sa forme, ce modèle de la marque BSTL apparaît dans la vidéo des combats filmée à la première personne où figure aussi la montre. Les autres mercenaires de Wagner portent d’autres modèles de chaussures.

Le pillage d’une maison ?

Le 10 août, une autre vidéo est publiée sur les comptes pro-touareg. On y voit des militaires des FAMA sortir des cartons d’une maison accompagnés par des miliciens de Wagner. Selon les comptes pro-touareg, il s’agirait du pillage d’une boutique.

Ces images ont été géolocalisées par le collectif “All Eyes on Wagner” au niveau du village d’In-Tawaké. Selon leurs recherches, la vidéo a été filmée le 21 ou le 23 juillet, avant que la colonne n'arrive à proximité de Tinzawaten.

Des véhicules chinois capturés

Le dimanche 11 août, une autre vidéo semblable est publiée. Celle-ci montre la fouille d’un camion par des hommes de Wagner épaulés par les Forces armées maliennes (FAMA).

S’il est impossible de géolocaliser ces images, un détail semble lier cette vidéo avec les affrontements de Tinzawaten. En effet, à 1 min 15, il est possible d’apercevoir un véhicule chinois de type VP11 à la tête d’une colonne de blindés.

Or, peu après la bataille de Tinzawaten, un blindé du même modèle apparaît sur des images sur lesquelles les combattants touaregs posent, exhibant ainsi le VP11 en guise de trophée.

 

“Ce sont des combattants touaregs qui m’ont envoyé ces images”

Interrogé par la rédaction des Observateurs, Abdollah Ag Mahamed, journaliste local qui couvre la rébellion, décrit comment ils ont pu récupérer les vidéos.

Ce sont les combattants touaregs qui m’ont envoyé ces images filmées par Wagner. Ces vidéos viennent d’un téléphone. Plusieurs autres cellulaires sont toujours dans les mains du CSP. Ils viennent de mesurer la valeur de ce qui se trouve entre leurs mains. Je pense qu'il y aura des publications au fur à mesure, selon l'évolution de la situation.

Ces vidéos sont non seulement importantes pour notre travail de journalistes, mais aussi pour toutes les victimes dont la dignité a été longtemps piétinée dans le silence. Elles constituent une preuve parmi tant d'autres des humiliations que les populations subissent. La réalité est que, sur ce coup, les auteurs de ces crimes ont vraiment contribué par leur négligence à montrer tout ce qui se passe.

Mais les supports vidéos ne sont pas les seuls matériels qui ont été saisis par les combattants touaregs sur les mercenaires de Wagner. Si des véhicules blindés et des armes ont été capturés, la source contactée par les Observateurs a également fourni des images de matériels plus légers.

Selon le groupe d’enquêteurs All Eyes on Wagner, des documents concernant l’identité des mercenaires et leur organisation ont également été transmis par les rebelles touaregs.