Raphaël Gaillard célèbre Valéry Giscard d’Estaing à l’Académie française

Il y a dix jours, Florence Delay remettait, comme le veut la tradition, son épée à Raphaël Gaillard. Un symbole d’autant plus fort que le nouvel élu s’inscrit dans les pas de son père, Jean Delay. Dans un article de la prestigieuse revue scientifique L’Encéphale, il confiait son admiration pour le psychiatre, le premier, qui avait été élu à 52 ans à l’Académie française. En faisant officiellement son entrée sous la Coupole ce jeudi 22 mai, précisons tout de même que le médecin la rejoint à seulement 47 ans.

À ce jeune âge - qu’avait également Jean d’Ormesson quand il entra sous la Coupole en 1974 - Raphaël Gaillard devient non seulement le benjamin de la Compagnie mais aussi le 16e médecin élu par l’Académie française. Et dans quel héritage médical s’inscrit-il : le premier d’entre eux, Cureau de la Chambre (1594-1669), fut médecin du roi Louis XIV et Félix Vicq d’Azyr, (1748-1794), celui de Marie-Antoinette ; Pierre Jean Georges Cabanis a donné son nom à la rue où se trouve l’hôpital Sainte-Anne (où exerce Raphaël Gaillard) ; Georges Clemenceau, on l’a oublié, fut médecin ; Claude Bernard et Henri Mondor sont devenus des antonomases avec les grands CHU qu’on connaît, respectivement, dans le XVIIIe arrondissement de Paris et à Créteil…

Conan Doyle, Barthes, Eco, Balzac

Ces hommes de science furent aussi de lettres. On citait plus haut Jean Delay, le psychiatre fut un spécialiste d’André Gide. Rappelons de même que l’ophtalmologue Yves Pouliquen ne publia pas moins de dix-neuf ouvrages, de Mme de Sévigné à la cataracte, et plus près de nous, l’écrivain et médecin Jean-Christophe Rufin, qui a reçu le prix Goncourt avec Rouge Brésil, (Gallimard) en 2001. Raphaël Gaillard a cet héritage médical et littéraire en partage.

Ancien élève de la rue d’Ulm et urgentiste au Samu, il est aujourd’hui directeur du pôle hospitalo-universitaire de Sainte-Anne, rédacteur en chef de L’Encéphale, spécialiste des neurosciences cognitives, de la dépression et de la schizophrénie. Grand amoureux de Conan Doyle, Barthes, Eco ou encore Balzac, il est l’auteur de plus de 150 articles dans des revues scientifiques et deux livres, le premier, « Un coup de hache dans la tête », (Grasset), dans lequel il démystifie le rapport entre génie et folie, et le second, sur l’intelligence artificielle intitulé « L’homme augmenté », (Grasset). Un titre qui lui est tout trouvé.

Ce jeudi 22 mai donc, Pascal Ory a reçu Raphaël Gaillard au fauteuil n°16. Et, comme c’est la tradition de la Compagnie, le nouvel élu a d’abord fait l’éloge de son prédécesseur, Valéry Giscard d’Estaing en relevant ses qualités d’homme de lettres. « C’est par son éloquence que Valéry Giscard d’Estaing fit honneur à la langue française ». Contrairement à ses illustres prédécesseurs, De Gaulle et Pompidou, qui furent écrivains avant leurs prises de fonctions, Giscard, le devint pendant son septennat. « Cette contemporanéité montre que l’écriture peut être consubstantielle à l’exercice présidentiel. »

Raphaël Gaillard est reçu au fauteuil n°16. François Bouchon / Le Figaro

IVG, abaissement de la majorité à 18 ans...

Elle aussi patrilinéaire, en l’occurrence, chez les Giscard. Et Raphaël Gaillard de rappeler que le père publia La monarchie intérieure, l’arrière-grand-père, La Bourgeoisie française, posant « les fondations de l’identité de notre futur Président ». Le nouvel académicien a alors montré comment Valéry Giscard d’Estaing s’est forgé à partir de « ce choix du passé », revenant sur son anglomanie - inspirée par un ancêtre amiral connu pour son rôle durant la guerre d’indépendance des États-Unis - sa rencontre marquante avec John Kennedy, son élection à la présidence à 48 ans et ses grandes réformes, depuis l’IVG à la Loi sur le handicap, en passant par l’abaissement de la majorité à 18 ans, le divorce par consentement mutuel ou encore le démantèlement de l’ORTF.

À travers l’homme, Gaillard fait le récit d’une époque. « Le triomphe du plastique, trésor de la pétrochimie, s’incarnait dans les sous-pulls acryliques, les Playmobil et le Rubik’s cube, la libération sexuelle hésitait entre la violence couleur Orange mécanique en 1971 et le fauteuil en osier d’Emmanuelle en 1974… » Sans oublier de revenir à la littérature : « Modiano reçut en 1972 le grand prix du Roman de l’Académie française pour Les Boulevards de ceinture, année de la publication de La Valse aux adieux, de Kundera, pendant que Roland Barthes et Michel Foucault étendaient leur magistère sur la rue des Écoles ».

« Recherche, médecine, enseignement»

Raphaël Gaillard a livré un discours docte et d’aujourd’hui, mais aussi et chose fascinante, nostalgique d’une époque qu’il n’a pu connaître (il est né en 1976). En outre, il a rappelé l’importance de « la langue du Président », elle qui est aussi et surtout son premier outil de travail en tant que professeur de psychiatrie. Ce que n’a pas manqué de souligner également Pascal Ory dans sa réponse à l’éloge du nouvel élu. L’académicien au fauteuil 32 l’a accueilli avec la facétie et la flamboyance qu’on lui connaît.

Pascal Ory a d’abord rappelé la filiation remarquable dans laquelle s’inscrit Raphaël Gaillard - ne manquant pas de lui souhaiter les mêmes distinctions que le premier médecin élu sur la Coupole eut : siéger trente-cinq ans et avoir un astéroïde à son nom - citant évidemment son maître à penser, Jean Delay, à qui l’Académie doit l’intégration du mot « neuroleptique » dans le Dictionnaire, avant de revenir sur son parcours stupéfiant : enfant d’un père psychanalyste jungien et d’une mère professeure d’allemand et traductrice, ayant baigné dans la musique et les eaux de Céphalonie, au large d’Ithaque, façonnant déjà son goût pour l’art et la littérature. Et bientôt, l’analyse.

« Recherche, médecine, enseignement : c’est à la lumière de cette triple identité que peut se lire votre itinéraire professionnel même si on peut dire que l’exercice de la médecine sera bientôt la clé de voûte de l’ensemble. » Et Pascal Ory de conclure avec verve : « Si nous vous recevons, Monsieur, ce n’est pas parce que vous êtes un patron de Sainte-Anne, mais parce que vous êtes un médecin-sachant-écrire et que vous avez déjà prouvé à deux reprises que vous n’étiez pas seulement un écrivant mais, pleinement, un écrivain. »

Retrouvez l’intégralité de ces discours sur le site de l’Académie française.