« Ce coup de force relève d’une forme de trumpisme » : à l’Assemblée, la loi Duplomb privée de débats au grand bonheur de l’agro-industrie

C’est ce qu’on appelle un coup de Jarnac. Violent, habile et inattendu. Mais aussi particulièrement déloyal. La proposition de loi Duplomb – du nom de l’un de ses coauteurs –, qui ambitionne de « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », devait faire son entrée à l’Assemblée nationale ce lundi et être examinée jusqu’au 31 mai.

D’initiative sénatoriale, elle avait été présentée et adoptée en janvier au Palais du Luxembourg. Les députés devaient avoir la main. Mais, samedi 24 mai, sur son compte X, le député LR Julien Dive, pourtant rapporteur de la proposition de loi au Palais Bourbon, annonçait avoir déposé une motion de rejet… sur son propre texte. Un tour de passe-passe procédural justifié par le « mur d’obstruction » qu’auraient érigé les groupes insoumis et écologistes à l’Assemblée : 3 500 amendements, selon les chiffres avancés par le parlementaire.

L’obstruction comme seule solution

Avec cette motion de rejet préalable votée à 274 contre 121 voix, les débats n’auront pas lieu. Le texte va être directement envoyé à une commission mixte paritaire (CMP), composée de sept députées et sept sénateurs, à charge pour eux de trouver un accord entre les deux Chambres du Parlement.

« Ce procédé fait peser la menace d’un grave précédent sur notre vie démocratique ! À chaque fois que le gouvernement redoutera un débat, le Parlement sera-t-il systématiquement écarté ? » s’inquiète Julien Brugerolles, député communiste du Puy-de-Dôme, auprès de l’Humanité.

L’argument de l’obstruction n’est d’ailleurs qu’un prétexte selon lui, le vrai problème étant la crainte de l’exécutif d’être mis en minorité au fil de l’examen de la loi Duplomb. « On n’examine plus que des propositions de loi, qui viennent des députés, et plus de projets de loi à l’initiative du gouvernement. Pour une raison simple : ils savent très bien qu’à l’Assemblée ils seraient mis en difficulté », développe l’élu.

« Autant demander à ChatGPT de faire la loi »

Même conviction pour le député du groupe écologiste Pouria Amirshahi, pour qui l’argument de l’obstruction relève également du prétexte : « En quoi prendre du temps pour débattre de notre modèle agricole en crise et des questions aussi importantes de santé publique est un problème ? Dans ce cas-là, autant demander à ChatGPT de faire la loi et c’est réglé ! »

Selon lui, cette motion de rejet s’explique par une autre crainte : celle de devoir assumer publiquement des mesures très contestables d’un point de vue de santé publique. « Pourquoi refusent-ils que le débat se tienne à l’Assemblée nationale ? Je pense qu’ils assument difficilement que cette séquence mette en évidence qu’ils s’apprêtent à empoisonner les gens en autorisant l’utilisation d’un pesticide pourtant interdit en France depuis des années. C’est tout l’objet de cette motion de rejet, éviter que les Français soient au courant ! Ce coup de force relève d’une forme de trumpisme très inquiétant », note-t-il.

La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a bien tenté d’éviter cette confiscation du débat. Dans la journée, elle a convoqué les présidents de tous les groupes parlementaires pour essayer de trouver un compromis. Notamment en proposant une procédure en temps programmé, qui vise à fixer à l’avance la durée de l’examen du texte, en échange du retrait d’un certain nombre d’amendements déposés par les élus de gauche. Peine perdue.

« C’est un texte qui réintroduit un produit nocif »

« Le bloc central, c’était le bal des faux-culs », a raillé Cyrielle Chatelain, la présidente du groupe Écologiste et social, à la sortie de la réunion. « Nous avions accepté la mise en place d’un temps législatif programmé en échange d’un retrait d’un nombre conséquent d’amendements. Mais le bloc gouvernemental était absolument fermé ! » a-t-elle dénoncé, s’inquiétant déjà de la mise en place future des dispositions contenues dans le texte : « C’est un texte qui réintroduit un produit nocif. C’est un scandale sanitaire ! »

La cheffe des insoumis dans l’Hémicycle, Mathilde Panot, a, elle, mis en avant un « 49.3 déguisé » et également « un précédent extrêmement dangereux » qui « ne servent qu’à une chose, à piétiner l’Assemblée nationale ».

Très offensive, la députée a évoqué la possibilité de déposer une motion de censure : « Oui, nous voulons censurer ce gouvernement. Je crois que, là encore, c’est la preuve d’une brutalité démocratique qui est intolérable. » Une brutalité devenue une méthode de gouvernance. Pas de quoi abattre Julien Brugerolles. « Ces sujets de fond, sur le modèle agricole que nous voulons, d’une manière ou d’une autre, nous les aborderons ! » prévient-il. À moins d’une nouvelle trouvaille des macronistes pour empêcher le débat…

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