Pourquoi les apiculteurs tirent la sonnette d’alarme contre le retour des néonicotinoïdes ?
Les lobbys agricoles et la droite sénatoriale n’en ont vraiment rien à faire des abeilles. Une proposition de loi menace de rouvrir les portes aux néonicotinoïdes. Ces pesticides ultra-toxiques sont pourtant interdits depuis 2018 car accusés d’avoir décimé des millions de colonies d’abeilles. Portée par les sénateurs Laurent Duplomb (LR) et Franck Menonville (UC), le texte dit « Duplomb », adopté en première lecture au Sénat en janvier 2025, est examiné cette semaine à l’Assemblée nationale. Il prétend de façon très orwellienne « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Pour ces opposants, il remet surtout en cause des décennies de progrès environnementaux.
Ce mardi 6 mai, en marge de l’examen du texte en commission du développement durable, l’UNAF (Union nationale de l’apiculture française), représentant environ 22 000 apiculteurs (sur 63 000), a tenu une conférence de presse pour dénoncer la proposition loi. Selon le collectif, elle est pensée dans le seul but de profiter aux lobbys agro-industriels et syndicats agricoles, tels que la FNSEA, accusés de sacrifier la biodiversité et la santé publique sous prétexte de compétitivité agricole.
Une molécule dangereuse pour les insectes, et les humains
En ligne de mire : la volonté de réautoriser plusieurs molécules néonicotinoïdes. Les substances visées – acétamipride, sulfoxaflor et flupyradifurone – sont qualifiées de « tueuses d’abeilles ». L’acétamipride, classée parmi les plus dangereuses pour les abeilles, mais aussi pour les humains, est connue pour être persistante dans l’organisme, puisqu’elle peut durer quelques mois voire plusieurs décennies dans un milieu naturel. « On est en quelque sorte sur une dette de pollution, on va être affecté pendant très longtemps », explique Philippe Grandcolas, directeur adjoint scientifique de l’institut Ecologie et environnement du CNRS. Cette substance est soupçonnée d’effets sur la fertilité, le développement du fœtus, voire le système nerveux des enfants. Les risques sont documentés.
Leur usage pourrait aggraver le déclin déjà alarmant des insectes pollinisateurs, indispensables à la sécurité alimentaire, alors que le dérèglement climatique et la concurrence étrangère les fragilisent déjà, les apiculteurs craignent un nouveau coup dur. « Les alertes sont nombreuses et d’après nous il y a un déni complet de démocratie », déplore Christian Pons, apiculteur et président de l’UNAF. « 80 % des citoyens sont contre le retour des néonicotinoïdes et c’est balayé d’un revers de main, on n’en tient pas compte, pourquoi ? »
« En quelques années on est passé de 80 à 5 kg de miel par ruche »
La PPL Duplomb aurait également un impact économique sur la filière apicole. En cause, une baisse dramatique du rendement des ruches, observée depuis les années 1990, liée à l’exposition aux pesticides. «Lorsque ces produits sont arrivés, on n’était pas au courant de leur toxicité », témoigne Yves Delaunay, vice-président de l’UNAF et apiculteur affecté par les néonicotinoïdes dans les années 2000. « En quelques années on est passé de 80 kg de miel à 5 kg par ruche avec des ruches très faibles. Comment voulez-vous qu’une exploitation avec des pertes aussi importantes puisse vivre ? » Près de 300 000 ruches seraient même amenées à disparaître avec la restauration de ces néonicotinoïdes.
Au-delà de la réintroduction de ces molécules, la loi prévoit aussi de modifier les pouvoirs de l’Anses, autorité sanitaire indépendante, chargée d’évaluer les dangers des pesticides. Si elle est adoptée, le ministre de l’Agriculture pourrait bloquer les décisions liées sur les pesticides, au profit d’arbitrages politiques qui amèneraient à un affaiblissement du contrôle de l’Anses. Une dérive dénoncée par plus de 1 000 chercheurs et soignants dans une lettre ouverte publiée le 5 mai.
Christian Pons compte bien interpeller les élus et leur demander « d’arrêter de fermer les yeux » sur la gravité de la situation. Pour Marie Pochon, députée EELV et membre du Comité de soutien des élu.es à l’Abeille et à l’Apiculture sur la PPL Duplomb, le parlement « fait de la place à un texte qui ne soutient que les intérêts de certains agro-industriels », « on ne sait pas comment il vient véritablement lever les entraves au métier d’agriculteur parce qu’il ne règle en rien la question du revenu, la question d’accès au foncier, la question de la lutte contre la concurrence déloyale, il ne fait que tout tirer vers le bas », lance-t-elle. Cette loi inquiète donc profondément le monde apicole et scientifique. Face à ce qu’ils qualifient de « retour en arrière » vers un modèle agricole toxique, les apiculteurs et scientifiques espèrent encore faire entendre raison aux parlementaires. Le texte sera débattu en séance publique à l’Assemblée nationale fin mai.
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