"Une grande famille", des bobs et de la pluie : une journée dans la caravane du Tour de France
Le Tour de France, c'est du vélo, des coureurs qui s'affrontent pendant trois semaines, des cols à grimper sous le soleil accablant, alors que les spectateurs se massent sur les bas-côtés dans une joyeuse "République de juillet". La Grande boucle, c'est aussi indissociable de sa caravane publicitaire qui sillonne les routes en amont des étapes pour distribuer bonne humeur et cadeaux au public.
En 2025, trente-six marques profitent de l'occasion pour faire leur réclame. Et le défilé des 170 véhicules qui constituent la caravane est un ballet bien réglé. Une danse qui commence inlassablement par un rassemblement général sur un immense parking de béton.
Il est à peine 8 h lorsque la caravane Krys, celle du maillot blanc de meilleur jeune, fait son apparition sous un ciel menaçant. "Les journées sont très rythmées. On se lève vers 6 h 15. Une heure après, on quitte l'hôtel. On se rassemble sur le parking. On fait nos préparatifs et c'est parti pour six heures d'étapes. Le soir, on démonte tout pour repasser en 'mode route' et on file directement à l'hôtel. Les journées sont longues, il faut savoir gérer son énergie", détaille Hugues Monjo, animateur de Krys et star de la caravane.
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Pendant ses explications, les 15 Krys s'affairent. Il faut passer chacun des six véhicules du lunetier en "mode caravane". On ajoute donc des jantes décorées, nettoie les véhicules, monte les sculptures des voitures et du char et on prépare les stocks de cadeaux à distribuer. Et pour cette excursion sur les routes du Nord, les caravaniers s'équipent pour l'invité du jour, la pluie, à grands renforts de doudounes et d'imperméables aux couleurs de la marque.

"Il faut quand même garder la motivation et le sourire. Avec l'esprit d'équipe, ça va bien se passer", résume avec philosophie Margot, 26 ans et septième Tour de France, qui, le reste de l'année, travaille dans l'évènementiel sportif.
Une chorégraphie pour booster le moral
L'intensification de la pluie finit par pousser les caravaniers à se réfugier dans le gymnase voisin. Pas question pour autant de perdre la bonne humeur. Hugues se charge de réchauffer ses camarades de caravane. Le court de tennis devient une piste de danse improvisée. "Les sardines", "La Goffa lolita", "Dans les yeux d'Émilie"… De quoi improviser des chenilles sous les regards médusés des tennismen locaux. Les caravaniers retrouvent petit à petit le sourire et leur énergie. L'échauffement de la journée se conclut par "Forever Young", chorégraphie officielle du Tour 2025. Au fur et à mesure des quatorze années d'Hugues au sein de la caravane, cette initiative qu'il a inventée s'est imposée comme un rituel matinal incontournable.
"L'idée, c'est de fédérer, de donner de l'énergie, du bonheur, du sourire et faire en sorte que tout le monde parte en forme, chaud et pas fatigué sur toute l'étape", explique Hugues Monjo.

À l'étage, l'ambiance est beaucoup plus calfeutrée. Tous les chefs de caravane assistent au briefing de sécurité quotidien, en présence d'un représentant d'ASO, l'organisateur du Tour de France.
"On nous donne toutes les indications particulières sur l'étape du jour. On nous explique comment sera régulée la vitesse et comment se comporter à des points clés de la journée", explique Thierry Montagné, chef de caravane de Krys, quatre Tour de France au compteur."
Du monde quelle que soit la météo
Dès que la réunion se termine, c'est le branle-bas de combat. Fini les danses et les rigolades, chaque caravanier se prépare à prendre son poste. Les hôtes et hôtesses de Krys enfilent leur baudrier et s'harnachent à leur poste. Ils ne le quitteront plus, ou presque, jusqu'à l'arrivée de l'étape, six heures plus tard.
Sur la plateforme du char, la pluie qui continue de tomber inlassablement, est loin de décourager Hugues. Avec sa tablette et son micro, il commence à chauffer les spectateurs avant même le départ de l'étape.
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"Il y a des gens qui pensent que lorsqu'il pleut, personne ne vient au bord des routes… Il y a tout le temps du monde ! Surtout dans le Nord comme aujourd'hui. Je ne suis pas loin de penser que c'est le meilleur public de France", se réjouit Hugues du haut de sa longue expérience. "Les spectateurs auront toujours le sourire en nous voyant. Alors on se doit d'être souriant et enthousiaste aussi, même quand il pleut et qu'on en a plein les pattes !"
Lauwin-Planque, Douai, Biache-Saint-Vaast, Sainte-Catherine, Magnicourt-en-Comté… Les communes défilent et donnent toutes raisons à l'animateur. Sur le bord des routes, une marée humaine accueille la caravane et réclame les produits de celle-ci : porte-clés, sacs, saucissons, t-shirts… Krys distribue, pour sa part, des bobs qui sont très attendus par les spectateurs.
Le bob du bonheur ou la magie du Tour
La magie du Tour. Cette épreuve, parmi les plus regardées au monde, est gratuite pour les spectateurs qui peuvent même repartir avec des cadeaux. Créée en 1930, la recette de la caravane est toujours aussi efficace pour petits et grands, à voir cet ancien jubiler comme un enfant en recevant le bob bleu, ou cette petite fille sauter de joie en enfilant son nouveau chapeau. Près de 25 000 couvre-chefs sont distribués chaque jour par le lunetier.
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Selon Hugues, le métier d'animateur ne s'apprend pas. "C'est un truc que tu as ou tu n'as pas", théorise-t-il. Lui, visiblement, il l'a. Capable de répéter 1 753 "Bonjour !" au micro dans la journée, de trouver la bonne réplique à un spectateur en un quart de tour, de choisir la bonne chanson pour faire danser le bas-côté tout en prodiguant des conseils de bonne conduite. Il connaît le métier. Et pour cause : il est également animateur "dans le civil", notamment lors d'événements sportifs.
Son enthousiasme est intouchable ou presque. "C'est la pire météo", finit-il par avouer après deux heures et demie passées sous la pluie qui cingle le visage, des trombes d'eau qui s'infiltrent dans les meilleurs imperméables et des mains trop gelés pour ajuster la playlist. D'autant que la sonorisation de la caravane a des ratés.
"Pause technique" et remontée de caravane
Un problème qui pousse la caravane à décréter la "pause technique" plus tôt que prévu. Trois des six véhicules Krys se garent sur le côté et un technicien jaillit d'une voiture pour vérifier la sonorisation. Les autres caravaniers savent qu'ils tiennent là leur unique temps de pause de la journée. Ils se déharnachent pour se dégourdir les jambes, avaler leurs sandwichs et faire une pause-pipi.
Tout comme le peloton cycliste, la caravane a un côté impitoyable. Elle n'attend personne. Au redémarrage, les trois voitures Krys sont à la traîne. Commence alors un grand slalom pour rattraper les trois autres véhicules en milieu de défilé.
Pour parvenir à cette "remontée de caravane", le char Krys peut compter sur le pilotage et l'œil expert de Stéphane. Ce retraité de la gendarmerie se faufile avec habilité, bien guidé par un motard de la garde républicaine, un "Charlie" dans le jargon.
Le pilote, qui participe à son septième Tour de France, connaît par cœur les codes de la caravane : les véhicules placés en alternance du côté gauche et droit de la route pour permettre les dépassements, les clignotants qui servent à donner la permission de dépasser, le coup de klaxon pour indiquer qu'on va se faufiler… Stéphane reste en liaison radio permanente avec le reste la caravane, n'hésitant pas à prodiguer des conseils aux plus jeunes.
"On se connaît tous et on s'entraide"
Grâce au talent du chauffeur, la caravane Krys retrouve vite sa place. Et comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, le soleil fait enfin son apparition sur la route du Tour. Pas question pour autant de se déconcentrer : "Sous la pluie, il faut être à 500 %. Maintenant, il faut rester à 300 %.", avertit-il entre les obstacles sur la chaussée : les enfants qui peuvent avoir un pas en avant au mauvais moment ou les gens qui prennent des risques inconsidérés pour le bob bleu quand il tombe sur le macadam.
"La caravane, c'est une grande famille. À force, on se connaît tous et on s'entraide, notamment quand il faut faire une remontée", loue Stéphane, pour qui le Tour de France constitue "le Graal". "C'est un privilège d'en faire partie."

Et d'ailleurs, le Tour de France réserve une belle surprise au chauffeur sur cette deuxième étape. Un ancien collègue de Stéphane lui a préparé un accueil de roi dans la commune de Samer. Une trentaine de panneaux "Steph de Brys" sont brandis, au plus grand plaisir du pilote, qui prend le temps de s'arrêter savourer, tout en demandant à ses collègues de caravane d'arroser ses amis.
Le soleil offre un second souffle aux caravaniers, bien aidés par la musique diffusée par Hugues. Les kilomètres défilent soudain plus vite, les distributions de couvre-chefs plus généreuses à mesure que la ligne d'arrivée approche.
"Le Tour de France, c'est vraiment à part ; j'appelle ça mes trois semaines de rockstar", explique l'animateur. "D'ailleurs, j'ai souvent une grosse semaine de blues quand tout s'arrête."
Heureusement, la fin est encore loin.