REPORTAGE. "On manque de tout" : dans un poste médical avancé en Ukraine, une situation toujours plus précaire pour les soldats harcelés par les drones russes
Pendant que sur le plan diplomatique les discussions se poursuivent, sur le terrain les bombardements russes font chaque jour de nouvelles victimes civiles et militaires. Franceinfo s'est rendu, il y a quelques jours, dans l'est de l'Ukraine, près de la ligne de front. Plus précisément dans ce qu'on appelle un poste médical avancé, où les soldats blessés sont stabilisés avant d'être évacués vers les hôpitaux.
De l'extérieur, c'est une maison à moitié en ruines, abandonnée le long d'une route de campagne. Mais à l'intérieur, il y a deux lits médicalisés, des outils de chirurgien et tout un tas d'appareils sophistiqués. Ce jour-là, on n'attend pas longtemps avant de voir débarquer les premiers blessés. D'abord un soldat à la jambe arrachée, porté à bout de bras ses compagnons, puis arrive une jeep au châssis complètement enfoncé, un autre militaire en treillis descend et trébuche. À la place de son bras droit, un amas de chair rouge, il a été sectionné juste sous l'épaule.
"Une fois, on a travaillé 40 heures d'affilée !"
L'un des occupants du véhicule, Oleksandr, s'allume une cigarette, encore sous le choc. Il tremble comme une feuille. "On faisait la rotation avec les gars qui étaient sur les positions, raconte-t-il. On a vraiment tracé, mais à un moment, le drone nous a rattrapés."
"Le brouilleur n'a marché qu'à moitié parce qu'il a explosé juste à côté de nous ! S'il était tombé pile sur la voiture, on était foutus."
Oleksandr, soldat ukrainienà franceinfo
Les drones FPV, modèles légers et bon marché, équipés d'une charge explosive, inondent le ciel ukrainien. Ils sont désormais responsables des trois quarts des blessures et des décès sur le front. Les gestes des médecins sont précis, rapides, leur travail consiste à contenir une hémorragie, éviter une infection ou donner les premiers soins, avant d'envoyer les blessés vers un hôpital, un vrai, à l'arrière du front.
Un travail d'urgence qui se fait souvent dans des conditions difficiles, encore plus après trois ans de guerre. "On manque de tout", nous dit Anest, le médecin. Et d'abord de moyens humains. "Il y a des pénuries de chirurgiens, d'anesthésistes... Ici, on n'est que deux. Alors quand il y a des vagues de blessés, on est sous-dimensionnés. Une fois, on a travaillé 40 heures d'affilée !" Depuis quand n'a-t-il pas eu de permission ? "Je n'en ai jamais eu, déplore-t-il. Pourtant ça fait six mois que je suis là, j'y ai droit ! Mais je ne la demande même pas parce que je sais qu'ils me la refuseront ! Il n'y a pas assez de personnel. Certains, ça fait plusieurs années qu'ils n’en ont pas eu."
La corruption, mal endémique
L'argent manque aussi, les soldats qui s'exposent en première ligne ne reçoivent pas toujours leurs primes et d'autres, comme Youri, chargé d'installer les postes médicaux, doivent mettre la main à la poche. "Moi, je gagne à peu près 1 000 euros par mois. Je garde de quoi acheter des clopes, mais tout le reste part dans le carburant pour nos véhicules, dans l'aménagement des lieux et pour tout ce qui nous manque, relève-t-il. Quand je m'adresse à l'administration, on me dit : 'faites votre demande par écrit' et là, ce sont les histoires de paperasse qui commencent. On attend, un, trois, quatre, cinq mois, mais les blessés et les malades, c'est maintenant qu'ils en ont besoin ! Tout ça à cause de nos députés qui détournent l'argent à leur profit, et qui n'en ont jamais assez." Après trois ans de guerre, la corruption reste un mal endémique, dans le pays et dans l'armée.
Quand on questionne ces médecins et ces soldats sur la façon dont ils envisagent la fin de la guerre, une chose est sûre, personne ne croit à la volonté du président russe de cesser ses manœuvres expansionnistes. "Ils vont jamais nous lâcher, affirme Dmitro. Ils vont continuer à nous harceler, à nous accabler. Ils veulent nous exterminer ! Je suis d'accord, quelqu'un doit arrêter la guerre."
"Mais si nous, nous arrêtons, alors la Russie finira par attaquer le fin fond de l'Europe. Elle n'en aura jamais assez ! C'est pour ça que certains ici ne cesseront jamais de lutter contre les Russes."
Dmitro, soldat ukrainienà franceinfo
Le bruit sourd des bombes planantes larguées par Moscou fait partie du quotidien de ces soldats et de ces médecins. Les négociations de paix à 1 700 kilomètres du front, en Turquie, sont suivies avec plus de sarcasme que d'espoir.