L'avenir politique de Marine Le Pen suspendu à la décision des juges

Marine Le Pen privée d’élection présidentielle en 2027 ? La réponse à cette question est attendue, lundi 31 mars, avec le jugement du tribunal de Paris dans l’affaire des emplois fictifs des assistants parlementaires des eurodéputés du Front national. La triple candidate (2012, 2017, 2022), arrivée deux fois au second tour, est poursuivie pour détournement de fonds publics et complicité. Elle encourt cinq ans de prison, dont deux ans ferme aménageables, 300 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire.

Une telle peine d’inéligibilité, qui s’appliquerait même en cas d’appel de la patronne du groupe Rassemblement national à l’Assemblée, aurait d’importantes conséquences politiques. France 24 fait le point.

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  • Marine Le Pen toujours députée

Même en cas de condamnation à une peine d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire, Marine Le Pen conserverait son siège de députée du Pas-de-Calais. "C’est le résultat d’une jurisprudence qui date de 2009 et d’une décision concernant le député polynésien Gaston Flosse. Depuis cette date, il existe une différence de traitement entre les élus nationaux et les élus locaux", rappelle Camille Aynès, maître de conférences en droit public à l’Université Paris Nanterre, autrice d’un article détaillé sur cette question dans le blog Jus Politicum.

Ainsi, les élus locaux condamnés à une peine similaire sont déchus dans la foulée du jugement de leur mandat, tandis que députés et sénateurs ne le sont pas. Cette différence de traitement vient d’être confirmée, vendredi 28 mars, par une décision du Conseil constitutionnel, qui répondait à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par un élu mahorais, Rachadi Saindou, condamné en juin 2024 pour détournement de fonds publics, recel et prise illégale d’intérêts. Dans leur avis, les Sages ont considéré qu'"en vertu de l’article 3 de la Constitution, les membres du Parlement participent à l’exercice de la souveraineté nationale et, aux termes du premier alinéa de son article 24, ils votent la loi et contrôlent l’action du gouvernement" et qu'"au regard de leur situation particulière et des prérogatives qu’ils tiennent de la Constitution, les membres du Parlement se trouvent dans une situation différente de celle des conseillers municipaux".

"En clair, le Conseil constitutionnel considère que les élus nationaux ont un statut plus important qui justifie un traitement différent, explique Camille Aynès. Il y a comme un deux poids, deux mesures car en principe, le texte du code électoral ne fait aucune différence entre élus nationaux et locaux."

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  • Mais non éligible pour la présidentielle 2027

Si son mandat de députée n’est donc pas en danger, Marine Le Pen serait en revanche empêchée de concourir à l’élection présidentielle de 2027 en cas de condamnation à une peine d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire.

"Une simple peine d’inéligibilité serait automatiquement suspendue si Marine Le Pen faisait appel du jugement, mais si la peine d’inéligibilité est assortie d’une exécution provisoire, comme le réclament les réquisitions, alors celle-ci s’applique immédiatement, même en cas d’appel", précise Camille Aynès.

En cas de peine d’inéligibilité classique prononcée, puis d’un appel du jugement par Marine Le Pen dans la foulée, et compte tenu des délais de la justice, des procédures à la cour d’appel de Paris et à la Cour de cassation, il est probable qu’aucune décision définitive ne soit rendue avant 2027, ce qui permettrait à Marine Le Pen d’être candidate à l’élection présidentielle.

En revanche, l’exécution provisoire l’en empêcherait et c’est bien évidemment ce que redoute la fille de Jean-Marie Le Pen, fondateur du parti d’extrême droite Front national, devenu Rassemblement national (RN) en 2018. Une inéligibilité qui s’appliquerait aussi en cas de nouvelles élections législatives anticipées si Emmanuel Macron venait à dissoudre une deuxième fois l’Assemblée nationale. Marine Le Pen ne pourrait en effet plus se représenter à ce scrutin législatif.

  • "République des juges" et "déni démocratique"

Avec d’aussi lourdes conséquences politiques, les réactions indignées ne manqueraient pas de fuser si une peine d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire était prononcée lundi. "La République des juges ou le gouvernement des juges, c’est un thème qui commence à monter depuis quelques années, qu’on entend pour des décisions qui concernent les politiques, mais aussi des affaires criminelles, l’extrême droite et la droite accusant la magistrature d’être politisée à gauche", souligne le politologue Jean-Yves Camus, président de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean Jaurès, spécialiste de l’extrême droite.

Cette accusation est associée à un argument sous-jacent qui soutient que seuls les électeurs doivent pouvoir, par leur vote, décider de sanctionner un élu. En condamnant Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité, la justice s’immiscerait dans la vie politique, prenant de fait une décision à la place des Français, estiment la droite et l’extrême droite. D’où l’accusation parallèle de "déni démocratique" portée par le RN dès l’annonce des réquisitions le 13 novembre 2024.

"Leur seul objectif, c'est de m'empêcher d'être la candidate de mon camp à la présidentielle. Il faut être sourd et aveugle pour ne pas le voir", avait réagi ce jour-là Marine Le Pen. "Le parquet n'est pas dans la justice, il est dans l'acharnement et la vengeance à l'égard de Marine Le Pen. Ses réquisitions scandaleuses visent à priver des millions de Français de leur vote en 2027. C'est une atteinte à la démocratie", avait de son côté fustigé Jordan Bardella, président du RN.

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"Il y aurait, selon cet argument, deux légitimités qui s’opposeraient : celle des urnes, qui serait supérieure, et celle des juges, qui serait inférieure. Mais les tenants de cette vision oublient, d’une part, que la justice est rendue au nom du peuple français et, d’autre part, que même s’il y a une part d’interprétation, les juges ne font qu’appliquer les textes de loi votés au Parlement", souligne Camille Aynès.

C’est en effet la loi Sapin 2 de 2016, votée à la suite de l’affaire Cahuzac, qui a rendu la peine d’inéligibilité automatique pour les condamnations liées à des atteintes à la probité.

  • Chemin dégagé pour Jordan Bardella

Une peine d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire à l’encontre de Marine Le Pen aurait également pour conséquence de propulser Jordan Bardella vers la présidentielle. Alors que pour certains observateurs, la question d’une candidature Bardella en 2027 se pose déjà, le député européen s’est jusqu’ici toujours montré loyal vis-à-vis de celle qui l’a lancé sur le devant de la scène politique et médiatique.

Le jugement attendu lundi pourrait changer la donne. À seulement 29 ans, l’eurodéputé a déjà publié une autobiographie, "Ce que je cherche" (Fayard, 2024), parue quatre jours avant les réquisitions dans le procès des assistants parlementaires du FN. Il décrivait alors son livre comme "un tête-à-tête avec les Français". Au sein du parti, personne ne doute qu’il endosserait volontiers le costume de candidat présidentiel.

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Reste à savoir si ce changement de casting profiterait au Rassemblement national. "D’un côté, cela montrerait que le parti peut présenter un candidat qui n’est pas issu de la famille Le Pen, qui est jeune, populaire auprès des militants et qui bénéficie d’une surface médiatique qui ne cesse de grandir. De l’autre, Jordan Bardella pâtirait aussi de sa jeunesse, de son inexpérience et du fait qu’il s’agira de sa première campagne présidentielle", analyse Jean-Yves Camus, qui estime que la balance entre avantages et inconvénients d'une candidature Bardella "s'équilibre".

Outre Marine Le Pen, le Rassemblement national et 24 autres prévenus sont soupçonnés d’avoir participé à un "système" mis en place entre 2004 et 2016 consistant à conclure des "contrats artificiels" d'assistants parlementaires européens qui travaillaient en réalité pour le Front national. Au total, neuf anciens députés européens sont poursuivis pour détournement de fonds publics : Marine Le Pen, Louis Alliot, Marie-Christine Arnautu, Nicolas Bay, Bruno Gollnisch, Fernand Le Rachinel, Marie-Christine Boutonnet, Dominique Bilde et Mylène Troszczynski.