Derrière le vernis de la dédiabolisation, l’antisémitisme toujours présent au Rassemblement national
C’est une invitation qui ressemble à un aboutissement. Le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, et la députée européenne Marion Maréchal sont invités en Israël, mercredi 26 et jeudi 27 mars, pour participer à une conférence internationale sur la lutte contre l’antisémitisme. Plus de 50 ans après sa création par Jean-Marie Le Pen en compagnie notamment d'un ancien Waffen-SS, Pierre Bousquet, le Front national, devenu Rassemblement national en 2018, se fait ainsi passer pour un parti luttant contre l’antisémitisme.
Après la présence du parti d’extrême droite à la marche contre l’antisémitisme le 12 novembre 2023 et l’adoubement reçu par l’historien Serge Klarsfeld en juin 2024, c’est une étape de plus dans la dédiabolisation à l’œuvre depuis la prise de contrôle du parti par Marine Le Pen en 2011, et poursuivie avec Jordan Bardella.
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"Cette stratégie s’est notamment faite sur la question de l’antisémitisme, considéré comme un stigmate disqualifiant pour accéder au pouvoir. Donc être reçu en Israël, c’est évidemment quelque chose qui peut servir comme argument contre ceux qui continuent de penser que le RN est un parti d'extrême droite. Jordan Bardella peut ainsi donner l’impression que son parti travaille sur cette question et qu’il a évolué", analyse le politologue spécialiste de l’extrême droite Sylvain Crépon, maître de conférences à l’Université de Tours.
Le président du Rassemblement national a toutefois parfois du mal à se détacher totalement du passé de son parti. Interrogé en 2023 quelques jours avant la marche contre l’antisémitisme sur BFMTV au sujet de l’antisémitisme de Jean-Marie Le Pen - condamné plus de 25 fois par la justice pour apologie de crimes de guerre, provocations à la haine et à la discrimination, antisémitisme et injures publiques -, Jordan Bardella avait répondu : "Je ne crois pas que Jean-Marie Le Pen était antisémite".
Et même si Marine Le Pen avait exclu son père du parti en 2015, précisément sur cette question, derrière le vernis de la respectabilité, l’antisémitisme traverse toujours l’extrême droite française et le Rassemblement national en particulier.
Les préjugés antisémites très présents à l’extrême droite
Dans son rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie publié en juin 2024, qui mettait notamment en évidence une explosion des actes antisémites depuis les attaque du 7 octobre 2023 perpétrées par le Hamas contre Israël, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) soulignait qu’il existait en France un antisémitisme d’extrême gauche, mais que celui-ci était "sans comparaison avec celui observé à l’extrême droite et chez les proches du Rassemblement national".
"De manière générale, les sympathisants d’extrême droite restent les plus enclins à se montrer d’accord avec ces préjugés antisémites traditionnels : 34 % des sympathisants RN jugent que 'Les Juifs ont trop de pouvoir', 51 % adhèrent au stéréotype de la 'double allégeance' des Français juifs et 51 % leur prêtent un rapport particulier à l’argent, soit systématiquement nettement plus que la moyenne des Français et que les sympathisants des autres grandes formations politiques", selon l’étude de la CNCDH.
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"Ce qui a changé, c’est que l’antisémitisme affiché et libéré n’a plus droit de cité. Dans les années 1990, j’entendais fréquemment dans la bouche de responsables ou de membres du Front national des propos antisémites. Désormais, ces propos ont disparu car des consignes ont été données. Mais je constate que certaines personnes membres du parti il y a 20 ans et qui tenaient alors des propos antisémites sont toujours membres du RN aujourd’hui. Le ménage n’a pas totalement été fait", témoigne Sylvain Crépon.
Preuve d’un nettoyage incomplet, chaque élection apporte son lot de révélations sur les candidats présentés par le Rassemblement national. Plusieurs enquêtes, de Libération et Mediapart notamment, ont révélé la présence aux élections législatives de 2024 de candidats du Rassemblement national antisémites.
Encore plusieurs candidats ouvertement antisémites en 2024
Ainsi, Mediapart a révélé que l'ex-député de l’Aisne Jocelyn Dessigny, candidat à sa réélection, avait posté sur son compte Facebook une photo de lui portant un tee-shirt du groupe de rock identitaire In memoriam, connu des néonazis pour avoir repris un chant de marche de la Jeunesse hitlérienne, La Colonne.
Le RN a aussi investi une nouvelle fois à Paris Agnès Pageard qui appelait, en février 2021 sur son compte X, selon Libération, à "relire Henry Coston", un essayiste collaborationniste connu pour son antisémitisme et son antimaçonnisme.
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Même problème en Gironde avec Sandrine Chadourne, conseillère municipale RN de Pineuilh, habituée des "likes" de pages antisémites, "comme celle du journal Rivarol ou du site Jeune nation, vitrine du mouvement néofasciste Les Nationalistes", indique Libération.
À l’époque, Jordan Bardella avait qualifié ces candidats de "brebis galeuses" du RN et avait assuré ne pas avoir "la main qui tremble" au moment de leur retirer l’investiture du parti.
"Mais encore aujourd’hui, vous avez à l’Assemblée nationale un député RN, Frédéric Boccaletti, qui a tenu pendant des années à Toulon une librairie qui vendait des livres antisémites. Elle s’appelait même Anthinéa, qui est le titre d’un livre de Charles Maurras, l’un des grands théoriciens de l’antisémitisme en France", relève Sylvain Crépon au sujet d’un passé que le voyage de Jordan Bardella en Israël ne pourra jamais effacer.