D’un côté, il y a les gouvernements d’inspiration trumpiste. De l’autre, les pays qui entendent de manière diverse relever le défi du réarmement.
Francis Wurtz
Ancien député PCF au Parlement européen
Il arrive que, face à des enjeux quasi existentiels, les États membres de l’Union européenne (UE) resserrent les rangs. Ainsi, le Brexit s’avéra représenter en définitive un puissant facteur de cohésion de l’UE jusqu’à ce que le danger redouté – le détricotage de l’UE – fût conjuré. Le retour de Donald Trump au pouvoir et sa cascade de premières provocations annoncent-ils une réaction du même type ?
Rien n’est moins sûr : il y a loin des postures aux actes concrets. D’abord, parce qu’existaient au sein même de l’Union, dès avant l’élection de l’actuel président des États-Unis, des gouvernements d’inspiration « trumpiste » dont le ralliement explicite au nouveau locataire de la Maison-Blanche était prévisible et s’est confirmé. C’est le cas de l’équipe de Viktor Orban, en Hongrie, rejointe par celle de Robert Fico, en Slovaquie.
Bien plus grave pour la cohésion future de l’UE est le cas de la « post-fasciste » Meloni. La présidente du Conseil de l’un des six pays fondateurs de l’UE ne cache ni sa proximité idéologique et ses liens anciens avec la droite la plus réactionnaire des États-Unis ni sa complicité avec Elon Musk.
Elle s’est autodésignée médiatrice entre l’UE et Trump. Déjà, certains la soupçonnent de favoriser ses intérêts propres ou ceux de ses alliés au détriment de ceux de l’Europe. Ce clivage est probablement appelé à se creuser dans la période à venir. Par ailleurs, la guerre commerciale lancée par Trump touche, certes, tous les pays européens, mais inégalement. Pour les uns, c’est un gros inconvénient, pour les autres une catastrophe.
En outre, si les uns sont favorables à une riposte ferme, d’autres préconisent la recherche d’un « deal » avec le puissant partenaire. Concernant la défense de l’Europe, la fin de la garantie de la protection de l’Otan (en fait, des États-Unis) suscite, elle aussi, des réactions disparates.
Si le chef du gouvernement polonais est fier d’avoir porté ses dépenses militaires au niveau exigé par Trump (5 % du PIB) et si la France vise entre 3 et 5 %, des pays comme l’Autriche, l’Irlande ou Malte, voire l’Espagne, la Belgique, le Luxembourg ou la Slovénie… sont très loin de les suivre.
Le cas de l’Allemagne est singulier : hier pays le plus proche de Washington, elle est aujourd’hui au centre des attaques du nouveau pouvoir américain. De quoi déstabiliser ses « élites » et expliquer, par exemple, le ralliement du futur chancelier, Friedrich Merz, à l’idée iconoclaste et fort périlleuse d’un parapluie nucléaire franco-britannique de l’Europe – une option loin de faire l’unanimité dans l’UE !
Le simple fait de faire son deuil de la tutelle militaire des États-Unis n’est pas acquis par nombre de gouvernements qui ne voient pas d’alternative crédible à l’Otan. On risque donc d’assister à un double mouvement au sein des Vingt-Sept : une large convergence dans le désarroi propice à un rapprochement dans la recherche d’une issue ; mais, dans le même temps, la réémergence des divergences de vision politique et d’intérêts matériels face aux solutions envisagées.
L’Europe isolée entend trouver une défense commune, mais elle devra au final se rallier à un accord accepté par Kiev sous pression américaine.
Jean de Gliniasty
Ancien ambassadeur de France en Russie
La résolution adoptée le 24 février 2025 par le Conseil de sécurité de l’ONU sur l’Ukraine, la première après trois ans de guerre, réclame la fin rapide du conflit en Ukraine sans faire la référence habituelle à l’intégrité territoriale de ce pays et sans demander le retrait par la Russie des territoires qu’elle occupe. Les Européens n’ont pas réussi à intégrer leurs amendements en ce sens.
Ce vote a illustré l’isolement de l’Europe : les 10 États qui ont approuvé le texte, dont les États-Unis, la Chine et la Russie, représentaient l’Asie, l’Afrique, l’Amérique latine, l’Amérique du Nord, seuls les Européens se sont abstenus, n’osant pas bloquer l’adoption d’un texte américain par un veto anglais ou français.
L’Europe, qui croyait isoler la Russie après sa tentative d’invasion de l’Ukraine, se retrouve ainsi isolée. L’entrevue orageuse entre les présidents Trump et Zelensky, le 28 février, dans le bureau Ovale a manifesté avec éclat que les Européens sont désormais les seuls à défendre vraiment l’Ukraine. Outre l’Ukraine dévastée, l’Europe a été jusqu’à présent la perdante de ce conflit.
Elle a montré son incapacité à faire appliquer les accords qu’elle avait négociés en février 2014 ou à Minsk en février 2015 pour éviter la guerre, elle a révélé la faiblesse de son outil militaire, incapable d’aider suffisamment l’Ukraine une fois la guerre déclenchée par les Russes, elle a abdiqué tout rôle diplomatique en accordant son soutien à l’Ukraine tant que celle-ci l’estimerait nécessaire.
Les Européens ont accepté de subir les conséquences économiques de leurs propres sanctions, frôlant la récession alors que la Russie, la Chine, les États-Unis présentent de bons taux de croissance. Les Européens cherchent maintenant à éviter la capitulation de l’Ukraine, inacceptable pour les Ukrainiens compte tenu de sacrifices endurés, dangereuse pour la stabilité du continent et considérée comme une prime « immorale » à l’agresseur.
Tandis que Trump discute du retour des États-Unis sur le marché russe et prend des gages sur les métaux rares de la région, l’UE décide un 16e paquet de sanctions et le Royaume-Uni réunit une « coalition » des soutiens à l’Ukraine, tout en proposant un plan de paix. Les Européens savent pourtant qu’un accord russo-américain accepté par Kiev sous pression américaine serait soutenu par le monde entier. L’Europe ne peut soutenir l’Ukraine dans la durée sans les États-Unis.
Les Européens, Starmer et Macron en tête en attendant Merz, auront donc tenté, sans rompre avec Washington, de sauvegarder la capacité de négociation de Kiev face aux Russes, d’accélérer leur propre progression vers une politique étrangère voire une défense commune indépendante et de mettre en œuvre leur réarmement.
Mais désireux de conserver leurs liens avec Washington, ils n’auront d’autre choix que de se rallier à un éventuel accord en obtenant dans le meilleur des cas quelques modifications et en jouant finalement le rôle qui leur a été assigné par Trump : accorder des garanties de sécurité et financer le relèvement économique de l’Ukraine.
Propos recueillis par Pierre-Henri Lab et Pierre Chaillan
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