Gestes sûrs, nonchalance affectée, regard acéré, blouson de cuir patiné, ce journaliste vétéran possède un flair et une assurance à toute épreuve. Grâce à la longue pratique de son métier, Samuel (Sami Bouajila, époustouflant de maîtrise) a acquis les bons réflexes. Son défaut ? Il travaille pour la presse dite de « caniveau ». Reporter aguerri pour Détective, cet enquêteur de fait divers bien crapoteux passe sa vie à chercher un petit crime à se mettre sous la dent. Il a fini par en oublier sa vie privée… Et sa fille, Ava (Mallory Wanecque, à la présence très attachante), qui a bientôt 18 ans.
Depuis quelque temps, le père travaille avec la fille. Ava effectue un stage d’observation dans son journal et, sans vraiment le lui dire, elle compte bien renouer les liens avec un père absent plus fuyant que jamais. Son vieux copain Christian (Jean-Pierre Darroussin, formidable en vieux briscard du journalisme) veille sur la petite et l’affranchit patiemment en lui enseignant les ficelles du métier.
Samuel déniche une sale affaire comme il en a le secret. Entre Grenoble et Chambéry, on a retrouvé dans un champ le cadavre d’une jeune fille défigurée à l’acide. Avec sa fille, il prend sa voiture et sillonne les routes de province jusqu’au lieu du meurtre. Il glane des infos de manière plus ou moins légale. Sa fille observe son père comme un entomologiste. Avec un détachement et une curiosité désinvoltes. Les filatures s’enchaînent. Ainsi que les nuits dans des hôtels borgnes ou les sandwichs pris sur des aires d’autoroutes.
Aussi roublard que hâbleur
Ce tandem intergénérationnel se retrouve bientôt chez le père de la victime. Aussi roublard que hâbleur, Samuel approche cet homme endeuillé tout en finesse. L’homme, sur la défensive, aboie mais ne mord pas. Entre deux sanglots, il finira par tout raconter. Frappé par la brutalité du meurtre, ainsi que par l’intérêt que sa propre fille porte à l’affaire, Samuel se lance dans une enquête indépendante. En marge de sa propre rédaction parisienne qui se désintéresse du cas, il fouille et découvre bientôt des similitudes étranges avec l’assassinat d’une autre femme de la région…
Pour son second long-métrage, le réalisateur Peter Dourountzis (Vaurien) plonge dans un thriller journalistique ancré dans un univers très réaliste. Calquant sa progression narrative sur le minutieux travail d’investigation des journalistes de Détective, le film préfère l’observation à l’action. À l’instar de son titre, Rapaces, le film pose la question centrale de savoir qui sont les véritables charognards de notre société. Les criminels qui passent à l’acte, les faits-diversiers qui les pourchassent ou les lecteurs qui se délectent de ce type de presse sensationnaliste ?
À lire aussi Notre critique de L’Accident de piano, la partition perchée d’Adèle Exarchopoulos
Si le film questionne le rôle des médias en décortiquant les pulsions voyeuristes qui régissent certains d’entre eux, il n’oublie pas d’être un polar haletant doté d’une réalisation rigoureuse qui refuse le « tout-à-l’esbroufe ». Malgré quelques maladresses dans sa première partie (qui prend peut-être un peu trop le temps d’installer son intrigue) Rapaces se rattrape de belle manière dans une surprenante montée de tension.
Soudain, les rôles s’inversent. Les chasseurs deviennent gibiers. Le père et la fille se retrouvent traqués, et l’arrêt dans un restoroute restera à bien des égards l’une des grandes séquences. Dialogues à double entente, montée de tension, regards fuyants, suspense à son apogée : les frôlements, plutôt que l’affrontement, rythment cette séquence à la mise en scène horlogère qui rappelle certains moments du cinéma de Melville. Avec Rapaces, Peter Dourountzis s’inscrit dans la grande tradition du polar social à la française, de Dominik Moll et sa Nuit du 12 à Une affaire d’État d’Éric Valette en passant par le Mille milliards de dollars de Verneuil. Il y a pire.
La note du Figaro: 2,5/4