Le chaos politique français est une fois de plus à la Une de la presse internationale. Quatorze heures après avoir formé son gouvernement, Sébastien Lecornu «jette l’éponge», titre le quotidien suisse Le Temps . Ce lundi 6 octobre, le premier ministre, nommé par Emmanuel Macron le 9 septembre, a présenté sa démission au président de la République, qui l’a acceptée. Mardi, l’ancien ministre des Armées devait prononcer sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale... Il n’en sera rien, si ce n’est que le fidèle macroniste demeurera «le chef de gouvernement le plus éphémère de la Ve République», note le quotidien fondé en 1998. «N’ayant même pas finalisé la liste des membres de son gouvernement», insiste pour clouer le cercueil le quotidien espagnol El País .
Dans leurs colonnes, tous le reconnaissent : la position du locataire de Matignon semblait intenable. Dès hier soir, à peine l’équipe gouvernementale constituée, le ministre Les Républicains (LR) de l’Intérieur reconduit, Bruno Retailleau, menaçait de claquer la porte en réaction notamment au retour surprise de Bruno Le Maire au ministère des Armées. Au même moment, les appels à la censure se sont multipliés, de l’extrême gauche à la droite nationaliste.
Passer la publicitéBruno Le Maire, le «roi de la dette»
Le nom de l’ancien ministre de l’Économie revient à ce propos abondamment dans les analyses de nos confrères. Le Temps se demande si sa nomination à l’Hôtel de Brienne n’était pas «la provocation de trop». «[Bruno Le Maire] est perçu comme un traître à droite et comme le responsable de la dérive budgétaire pendant son très long mandat à Bercy». Son retour dans un gouvernement «a provoqué la colère de tous les partis politiques, qui y ont vu le signe que la position pro-entreprises d’Emmanuel Macron ne serait ni remise en question ni modifiée», ajoute en Angleterre The Guardian . Bruno Le Maire à qui le Frankfurter Allgemeine Zeitung n’épargne pas le surnom de «roi de la dette». Et d’ajouter : «La crise en France s’aggrave de manière dramatique.»
«En reconduisant presque tout le gouvernement précédent ce dimanche, au bout du compte, y ajoutant, cerise sur le gâteau, le retour de Bruno Le Maire, incarnation de la dérive budgétaire de ces dernières années, Emmanuel Macron a poussé le bouchon trop loin», suppose dans son éditorial Le Temps . Un article au titre sans équivoque : «Emmanuel Macron, trois ans d’aveuglement. Le président français a perdu sa majorité en 2022. Depuis, il fait (presque) comme si de rien n’était.»
Toujours au Royaume-Uni, The Independent s’interroge sans détour : «Pourquoi la France est-elle à nouveau au bord de l’effondrement – et Macron peut-il y survivre ?» «La nouvelle composition du gouvernement a suscité la colère des opposants comme des alliés, qui la trouvaient soit trop à droite, soit pas suffisamment», décrypte le quotidien londonien. Une liste des ministres qui étaient, rappelle La Stampa, «quasiment identique à celle du gouvernement précédent», «ce qui a suscité la colère de l’opposition, prête à retirer sa confiance à Lecornu à la première occasion».
Le quotidien flamand De Standaard reprend la même antienne : «Ceux qui pensaient que le chaos était total pourraient être surpris. La politique française a aggravé la situation. La France dérivait comme un navire à la dérive depuis des mois, changeant de capitaine à plusieurs reprises. Beaucoup espéraient que le nouveau premier ministre, Sébastien Lecornu, ramènerait le calme. En vain.»
À qui la faute ?
Pour El País, qui constate une «situation étrange et inquiétante pour La France», le responsable de la situation est tout trouvé : il réside à l’Élysée. «Cette dernière, juge le quotidien madrilène de centre gauche, est le résultat de la dernière fois où Emmanuel Macron a [dissous l’Assemblée nationale] hâtivement et sans consulter ses conseillers. Les élections de juin 2024 ont engendré une fragmentation parlementaire sans précédent dont le pays et la classe politique sont incapables de sortir depuis un an, au cours duquel trois premiers ministres différents se sont succédé.» «L’absence de prévoyance et d’accord avec les partis politiques après un mois de préparation à la formation du nouvel exécutif est extrêmement surprenante. Personne ne peut expliquer une décision qui, tout en précipitant la disparition quasi annoncée de son exécutif, a été prise avant même l’annonce de l’autre moitié des ministres qui composeraient le gouvernement Lecornu», soulève El País.
Passer la publicitéOutre-Atlantique, le New York Times, rappelle que la démission de Sébastien Lecornu intervient dans un contexte «de craintes croissantes quant à son incapacité à faire adopter un budget d’ici fin 2025 pour faire face à la dette et au déficit croissants de la France». L’éphémère premier ministre avait pourtant, se souvient le quotidien américain, annoncé la semaine dernière qu’il renoncerait à l’article 49-3 de la Constitution pour faire adopter un projet de loi de finances. «Son annonce, un pari risqué, visait à conjurer le risque d’être renversé avant même le début des discussions budgétaires.»
Car le média en ligne américain Bloomberg n’a pas la mémoire courte : «Le prédécesseur immédiat de Lecornu, François Bayrou, a été contraint de démissionner le mois dernier après avoir perdu un vote de confiance sur son projet de forte réduction du déficit l’an prochain. En décembre dernier, son prédécesseur, Michel Barnier, a également été évincé en raison de propositions de coupes budgétaires. Mais ce lundi matin, le premier ministre a, dans une allocution télévisée, «accusé les partis français de ne pas avoir saisi cette opportunité de débat parlementaire». «Il a mis en cause les “appétits partisans” – suggérant que de nombreux responsables politiques étaient davantage intéressés par leur propre préparation aux élections de 2027 – et a soutenu que l’absence de négociations transpartites dans la politique française l’avait condamné à l’échec», relève le New York Times.
Sans surprise, note de son côté le Financial Times, la décision de Sébastien Lecornu a provoqué «une vague de ventes sur les marchés financiers en raison des inquiétudes concernant le dysfonctionnement de la deuxième économie de la zone euro». «Les marchés français ont chuté suite à cette nouvelle, l’indice Cac 40 ayant perdu 2 %, entraîné par la baisse des actions bancaires. La chute des prix des obligations d’État a fait grimper le coût de l’emprunt à 10 ans du pays de 0,05 point de pourcentage, à 3,56 %. L’euro a reculé de 0,6 % face au dollar», détaille le quotidien britannique.
Après le «bouleversement», les trois scénarios
En Algérie, Le Matin d’Algérie, considéré comme un média d’opposition, estime que ce moment de stupeur révèle «l’épuisement d’un système», «la fragilité du pouvoir macronien» et «le blocage institutionnel qui paralyse la France». «Cette démission, au-delà de l’épisode personnel, traduit une impasse politique : comment gouverner une France fragmentée, où plus aucun camp ne parvient à incarner une vision commune ? La Ve République, jadis bâtie sur la stabilité, semble aujourd’hui vaciller sur ses fondations», ajoute le quotidien d’Alger.
En Belgique, Le Soir s’interroge sur les scénarios possibles après ce «bouleversement dans la vie politique française». Il y a d’abord la nomination d’un... quatrième premier ministre depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024 - après Michel Barnier, François Bayrou et, donc, Sébastien Lecornu. «Mais qui ?», alors que «le gouvernement nommé hier semblait réunir les dernières figures fortes d’un macronisme à bout de souffle» et que «Sébastien Lecornu [était] considéré comme la dernière cartouche d’Emmanuel Macron».
Passer la publicitéIl y a ensuite la dissolution de l’Assemblée nationale. Une option à présent demandée par le Rassemblement national, «qui a effectué une percée menaçante aux dernières élections législatives». Enfin, point l’hypothèse «très peu probable» de la démission d’Emmanuel Macron, appelée de leurs souhaits par les Insoumis et le RN, entre autres. «Une seule demande réunit actuellement tous les partis, y compris le camp présidentiel : tous appellent Emmanuel Macron à s’exprimer aujourd’hui, pour clarifier la situation auprès des familles politiques, mais surtout auprès des Français, pour l’heure privés de gouvernement», conclut le quotidien bruxellois. Car comme résume El Mundo, «une nouvelle période d’inconnu s’ouvre pour la France». Encore une.