Les Marines à Los Angeles : la stratégie d'embrasement de Donald Trump face aux manifestants

L’Afghanistan, l’Irak, le Yémen, la Syrie et… Les rues de Los Angeles. Les 700 Marines que le Département américain de la Défense a décidé, lundi 9 juin, d’envoyer en renfort des forces fédérales déjà présentes en Californie font partie des troupes d’élite américaines ayant connu la plupart des théâtres d’opération militaires dans le monde.

L’envoi de ces combattants à Los Angeles représente “une importante escalade” dans le face-à-face entre l’administration de Donald Trump et les manifestants qui s’opposent aux opérations d’expulsion d’immigrés, assure René Lindstaedt, politologue et spécialiste des États-Unis à l’université de Birmingham.

Les "chiens de guerre"

Ce ne sont pas les premiers militaires que Donald Trump place en travers de la route des manifestants californiens. Le président américain a déjà décidé, samedi 7 juin, de déployer 2 000 Gardes nationaux à Los Angeles. Une décision controversée et à la légalité remise en cause à la fois par le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, et par des juristes.

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© France 24

Mais l’irruption de Marines complique encore le tableau. Ce sont “les premiers soldats en service actif” à être dépêchés à Los Angeles, souligne CNN. Et il ne s’agit pas de n’importe quels soldats. Ils proviennent d’un bataillon de Marines - “2nd Battalion, 7th Marines” - qui existe depuis la Seconde guerre mondiale et impliqué dans tous les principaux conflits armés auxquels les États-Unis ont participé. Au fil du temps, ces forces spéciales ont gagné les surnoms de “chiens de guerre” et de “chaos” (“Havoc”) et ils se sont choisi la phrase “prêts à tout, et ne comptant sur rien ni personne” comme mantra.

Des bêtes de guerre dont la mission est, officiellement, de “protéger les agents et les bâtiments fédéraux” dans la région de Los Angeles, d’après le ministère de la Défense. Autrement dit, ces marines doivent s’assurer que les policiers de l’ICE, l’agence de contrôle des frontières et de l’immigration, peuvent effectuer leurs arrestations d’immigrés sans craindre les affrontements violents avec les manifestants.

Soit les mêmes consignes à la virgule près que celles reçues par les Gardes nationaux envoyés à Los Angeles samedi. Donald Trump profite d’une spécificité locale pour prétendre que la présence de militaires est nécessaire : “La difficulté à Los Angeles est qu’une réglementation de 2017 interdit à la police californienne d’assister les agents d’ICE dans leurs opérations”, souligne Sinead McEneaney, spécialiste de l’histoire des mouvements de contestation aux États-Unis à l’Open University en Angleterre.

L'ombre des émeutes de 1992

Mais pourquoi cette surenchère militaire avec l’envoi de troupes d’élite ? “Il y a bien eu quelques éclats de violence lors des manifestations contre les opérations des agents d’ICE, mais dans l’ensemble c’est plutôt pacifique et les autorités locales ne semblent pas débordées”, constate René Lindstaedt.

“Il est difficile de ne pas analyser cette décision dans le contexte plus large de l’affrontement politique entre Donald Trump et Gavin Newsom. Les deux hommes ne sont d’accord sur rien, et le président américain perçoit le gouverneur démocrate de Californie comme l’une des principales menaces pour le camp républicain en 2028 [prochaine présidentielle, NDLR]”, estime Sinead McEneaney.

Ainsi, Donald Trump entend utiliser les manifestations contre les opérations d’ICE comme une preuve du manque de fermeté de Gavin Newsom, d’après les experts interrogés par France 24. Quoi de mieux que de mobiliser les marines à cet effet. Le président américain sait que les images de ces soldats dans les rues de Los Angeles ne vont pas manquer d’évoquer les émeutes de 1992 à la suite des violences policières contre Rodney King à Los Angeles.

C’est en effet la dernière fois que les marines ont été déployés en renfort à des opérations de maintien de l’ordre. Leur mission était alors également de protéger les forces de l’ordre, censées mettre un terme aux émeutes.

Mais la comparaison entre les deux crises atteint rapidement ses limites. D’abord “parce que la violence des manifestations et l’ampleur des actes de vandalisme étaient clairement d’une autre magnitude en 1992”, assure Sinead McEneaney.

Ensuite, le président de l’époque, George H. W. Bush, avait “invoqué l’’insurrection act” de 1816 qui permet au président d’utiliser l’armée pour mettre un terme à une insurrection ou une rébellion. “C’était déjà controversé à l’époque, mais au moins, il y avait un fondement juridique clair à l’envoi des marines”, note Sinead McEneaney. Pour l’instant, Donald Trump est resté plus flou quant à cette disposition légale et n’a, officiellement, invoqué qu’un autre texte, encore plus controversé, pour justifier le recours à des militaires.

Le risque de la prophétie auto-réalisatrice

Enfin, en 1992, George W. Bush “avait aussi justifié l’intervention des militaires comme un moyen de mieux protéger les civils et la propriété privée”, souligne Sinead McEneaney. Rien de tel avec Donald Trump : la seule mission des Gardes nationaux et des marines consiste à protéger les agents d’ICE chargés d’appliquer la politique d’expulsion drastique du gouvernement.

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S’il est difficilement imaginable de mettre les deux crises sur un même plan, le risque est que la situation en Californie s’envenime… À la suite de l’arrivée des Marines. “Il y a toujours le danger de la prophétie auto-réalisatrice”, avertit René Lindstaedt. L’envoi de Gardes nationaux, puis des Marines “constitue une surenchère sécuritaire qui peut être perçu comme une provocation par les manifestants”, craint cet expert.

D’autant plus que les Marines “sont certes entraînés à faire face à des rébellions dans des zones de conflits, mais ils n’ont pas reçu de formation spécifique pour contrôler des manifestants”, résume René Lindstaedt.

Dans le contexte de Los Angeles, “le recours à des Marines peut potentiellement être plus dangereux qu’utile et s’inscrit clairement dans une stratégie d’escalade”, assure un expert des questions militaires américaines qui a préféré garder l’anonymat. Ce genre de situation nécessite en effet un certain doigté, ce qui n’est pas forcément dans l’ADN d’une unité dont le surnom est “chaos”.