Les Rencontres d’Arles 2025, un programme qui entend traverser les frontières
Pour sa 56e édition, les Rencontres d’Arles ont choisi de traverser les frontières, toutes les frontières, géographiques, politiques, symboliques, poétiques. « Nos identités [...] ne sont pas enracinées dans un seul territoire. Elles s’étendent, se métissent, se déplacent et se recréent sans cesse. » Citant Édouard Glissant, le poète de la Caraïbe et du «Tout-Monde» déjà à l’honneur de «Paris noir» au Centre Pompidou, Christoph Wiesner, directeur franco-allemand des Rencontres d’Arles, entend offrir un bouquet d’Images indociles cet été aux visiteurs, de plus en plus nombreux.
Du 7 juillet au 5 octobre, son festival mettra à l’honneur l’Australie, ce continent récompensé à la dernière Biennale de Venise avec un Lion d’or du meilleur pavillon national pour l’installation radicale signée Archie Moore (né en 1970), et surtout le Brésil sous ses facettes paradoxales, dans le contexte de la Saison Brésil-France 2025. «La photographie y est envisagée comme un outil de résistance, de témoignage et de transformation sociale face aux crises contemporaines, souligne Christoph Wiesner, fort du succès de l’édition 2024 (record de 160 000 visiteurs, dont plus de 10 0000 Arlésiens, record plus modeste qui fait la fierté du maire Patrick de Carolis). »
« L’engagement traverse l’ensemble de la programmation de cette 56e édition. De l’Australie au Brésil, en passant par l’Amérique du Nord et les Caraïbes, tandis que le monde est ébranlé par la montée des nationalismes, l’essor du nihilisme et les crises environnementales, les regards photographiques proposés offrent un contrepoint essentiel aux discours dominants, célébrant la diversité des cultures, des genres et des origines. » Ces questions de société dominent la scène de l’art contemporain, très inquiète du monde unilatéral selon Trump et Musk.
Électrochoc ? Entre superhéros américains et guerre ancestrale, c’est une photo assez intrigante de Tony Albert, David Charles Collins et Kieran Lawson, Super-héros de Warakurna #1 (Série Super-héros de Warakurna, 2017) qui fait l’affiche choc cette année, avec son guerrier issu du Bush australien campé sur une casse de voitures rouillées («On Country, photographie d’Australie» à l’église Sainte-Anne).
1 . Le Brésil, en écho à une saison nationale
Avec «Retratistas do Morro», le fonds de 250.000 négatifs des photographes João Mendes et Afonso Pimenta dévoilera le quotidien de la communauté de Serra à Belo Horizonte, la plus grande et ancienne favela brésilienne (Espace Croisière). La grande Claudia Andujar qui lutte pour la sauvegarde des amérindiens Yanomami, exposée en majesté par Hervé Chandès à la Fondation Cartier à Paris en 2020, puis à Kyotographie à Kyoto en 2024, sera une des stars d’Arles 2025 («À la place des autres», Maison des peintres). Dans le cadre de la Saison Brésil‑France 2025, «Futurs ancestraux» présentera des artistes qui, par le biais de la photographie, de la vidéo et du collage, «réinterprètent les archives visuelles et ses traditions, dénoncent la violence historique à l’encontre des communautés afro-brésiliennes, indigènes et LGBTQIA+ en questionnant la construction des stéréotypes et en contestant l’histoire officielle du pays» (église des Trinitaires). «Construction Reconstruction Déconstruction» racontera «la photographie moderniste brésilienne (1939-1964)», de Lygia Clark et Hélio Oiticica à Robert Doisneau et Willy Ronis (Mécanique générale).
2. Histoires de famille, là où ça fait mal
Attention, familles particulières, plus du côté de la blessure et de la réparation que de La petite maison dans la prairie. Lauréate du prix Women in motion 2025, Nan Goldin proposera sa vision du «Syndrome de Stendhal» avec un diaporama tout en corps et en sensualité, mêlant chefs-d’œuvre de l’art classique, de la Renaissance et du baroque, et portraits de son cercle intime aux frontières des normes, du bonheur et de la raison (église Saint-Blaise). Diana Markosian racontera la fuite avec sa mère, dès l’effondrement de l’Union soviétique, pour la Californie et la recherche effrénée de son «Père» pour les retrouver (Espace Monoprix).
3 . Yves Saint Laurent, Louis Stettner, Eileen Gray, Le Corbusier, Berenice Abbott, ces chers disparus
Yves Saint Laurent (1936-2008) est l’un des couturiers les plus photographiés et l’un de ceux qui ont le plus prêté attention aux grands photographes du XXe siècle, spécialistes de mode ou non : Avedon, Bailey, Beaton, Bourdin, Doisneau, Horst, Issermann, Lartigue, Meerson, Moon, Seidner, Sieff. Le directeur de la MEP à Paris, le «so british» Simon Baker en sera le commissaire, avec Elsa Janssen, pour cette exposition très attendue coproduite par les Rencontres d’Arles et le Musée Yves Saint Laurent Paris, en collaboration avec la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent (Mécanique générale).
Hommage, dix ans après sa mort, à Louis Stettner (1922-2016) en 150 photographies d’époque (Espace Van Gogh). Véritable pont entre la street photography américaine et la photographie humaniste française, il s’est passionné tout au long de sa vie pour les luttes sociales et politiques et l’histoire de la photographie, tout en pratiquant de multiples formes d’expression (écrits, collages, sculpture, peinture).
Connu pour ses célèbres vues frontales d’architectures et ses séries Melting fusionnant des vues des usines Toyota ou encore d’iconiques bâtiments de Chandigarh, Alger ou Brasilia, Stéphane Couturier questionnera dans sa nouvelle série la notion de synthèse des arts, en associant les deux figures qui ont marqué cette villa : Eileen Gray et Le Corbusier (abbaye de Montmajour).
Retour sur les routes avec la grande Berenice Abbott et «US. Route 1». Entre juillet et septembre 1954, la photographe américaine, accompagnée de ses assistants et chauffeurs Damon et Sara Gadd, sillonne la Route 1, la plus ancienne route des États-Unis qui s’étend du Nord au Sud du pays entre Fort Kent, dans le Maine, à la frontière canadienne, et les Keys, en Floride (Palais de l’Archevêché).
4 . L’actu, pure et dure
L’exposition «J’ai toujours cherché la vie» retracera l’ensemble du parcours créatif de la Sicilienne de Palerme, Letizia Battaglia (1935-2022). Cette lauréate en 1985 du prestigieux prix de la photographie humaniste W. Eugene Smith a photographié la violence de la mafia, à travers plus d’une centaine de photographies, livres, journaux et magazines provenant de l’Archivio Letizia Battaglia (Chapelle Saint-Martin du Méjan).
5. Les rencontres improbables
Visions extraterrestres avec «Octahydra» de Batia Suter, née en 1967 en Suisse, qui proposera une «exploration viscérale des relations complexes entre architecture, mémoire et expérience humaine» avec une installation monumentale au sein des Cryptoportiques, dans un espace spécifiquement conçu par l’architecte Sami Rintala. Après Juliette Agnel et Sophie Calle, une 3e tentative souterraine très attendue.