Exposition: Yves Saint Laurent à fleur de peau
At-on tout dit sur Yves Saint Laurent que l’exposition inaugurée ce soir, en son musée du 5, avenue Marceau, fasse appel aux fleurs? Après la révolution de la saharienne, la transgression du smoking, la collection Ballets russes et la robe Mondrian, que vont-elles nous apprendre du grand couturier parisien? Eh bien, plus qu’il n’y paraît… D’abord qu’il était terriblement proustien - certes, il ne s’en est jamais caché. Qu’il n’a cessé de rendre hommage à Dior, le couturier-jardinier qui lui a mis le pied à l’étrier. Que l’anagramme d’YSL est lys. Que les corps musclés qu’il croquait, ici exposés, sont comme de grandes tiges déliées. Et que la mode actuelle a sacrifié semis et bouquets imprimés sur l’autel du concept et de la radicalité. Mais oui, autrefois, au temps d’YSL, une robe en mousseline fleurie était faite pour rendre la femme qui la porterait jolie…
Ouverte demain au public, «Les Fleurs d’Yves Saint Laurent» est en réalité le deuxième volet de l’exposition du même nom qui se tient depuis le 2 mars et jusqu’au 5 janvier, au musée du couturier à Marrakech. Une thématique qui fait évidemment écho au célèbre jardin Majorelle comme le souhaitait Madison Cox, fondateur et président de la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent. Déjà plus de 250.000 visiteurs ont acheté les billets pour cet accrochage mais aussi, pour visiter les jardins, donc, ainsi que le Musée Pierre Bergé des arts berbères qui fait partie du parcours.
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De l’avis d’Olivier Saillard et de Gaël Mamine qui en sont les commissaires, l’exposition de ces pièces-fleurs dont beaucoup datent des années 1960-1970 vaut le détour. Également sollicité pour ce pendant parisien, le duo a pensé ce chapitre urbain à travers des créations plutôt des années 1980-2000 (avant ses adieux en 2002). Ici, au regard de l’espace qui est donc l’ancienne maison de couture, nous avons sélectionné “seulement” une trentaine de silhouettes, précise Olivier Saillard. Je dis toujours aux élèves conservateurs-commissaires qu’il faut être concis pour ne pas diluer le propos! Et je crois que les visiteurs apprécient cet angle tenu, d’autant qu’ici, on vient aussi pour l’esprit du lieu comme souvent dans les maisons des Illustres telle celle de Victor Hugo.»
Les sens des fleurs
Les fleurs ne sont pas un axe de création que l’ancien directeur de Galliera et actuel directeur de la Fondation Azzedine Alaïa a beaucoup traité par le passé. «Mais comme souvent lorsqu’on s’intéresse à un sujet dit éculé, on réalise qu’il n’en est rien. Et effectivement, les fleurs qu’on peut voir comme un motif très romantique et réducteur dans une certaine vision de la féminité, sont une permanence dans l’histoire de la haute couture. À commencer par son inventeur, Charles Frederick Worth, qui s’est beaucoup inspiré des lys, avec une stylisation des fleurs pop avant l’heure.» Ce sont aussi les hortensias de Jacques Doucet, le camélia de Coco Chanel, la ligne Corolle (véritable nom de la collection New Look de 1947) et le muguet de Christian Dior… Et tous les grands tisseurs, lyonnais, suisses ou italiens qui ont exploré ce registre. À l’image de la maison de soieries Abraham, qui, à la demande de Saint Laurent, créera les fleurs fondues des robes dites «Hommage à Pierre Bonnard» de la collection printemps-été 2001.
«Ce qui est intéressant chez Saint Laurent, c’est qu’il n’en fait pas qu’un usage poétique ou ornemental. Comme ses fleurs warholiennes des années 1960, par exemple, qui ont quelque chose d’intrigant, parfois d’inquiétant, précise Olivier Saillard. Elles sont aussi souvent chez lui l’expression de la fugacité.» Comme chantait Françoise Hardy: «On est bien peu de chose,/ Et mon amie la rose,/ Me l’a dit ce matin». «La fragilité de la fleur m’évoque celle de ces robes que l’on voit dans les musées et qui, si l’on n’y prête pas attention, “meurent” rapidement. J’ai aussi ce sentiment à chaque fois que je revois les photographies des mannequins chers à Saint Laurent, Amalia, Violeta, dans ces robes: il y a de cette couture un peu oubliée alors que la mode actuelle est aux silhouettes et aux couleurs souvent agressives.»
La haute couture n’est pas tant une question de savoir-faire que de ne pas tout à fait savoir-faire, mais de passer du temps
Olivier Saillard, commissaire de l’exposition
La Recherche n’est jamais loin chez «Yves». Gaël Mamine a d’ailleurs mis en regard des pièces de haute couture et autres dons de grandes clientes (dont Jacqueline de Ribes), des extraits d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Elles sont même littéralement incarnées dans cette photographie de deux invitées du légendaire Bal des têtes de 1957, coiffées de fleurs par le jeune Saint Laurent à la demande de Dior, dont il était encore pour quelques mois le bras droit.
La robe qui ouvre le bal, enfin le parcours, est un bustier de l’été 1996, en gazar de soie appliqué de pavots, de bleuets et de millepertuis presque naïfs rappelant les arts textiles folkloriques. Non loin, la toile Serpentine, Lakeshore, Overnight de l’artiste Sam Falls (né en 1984 en Californie) poursuit le dialogue artistique entretenu toute sa vie par le couturier. Là, des broderies de semis verts jusqu’à l’asphyxie sur une robe qui fait dire à Olivier Saillard que «la haute couture n’est pas tant une question de savoir-faire que de ne pas tout à fait savoir-faire, mais de passer du temps». Ici, des brins de muguet très Diorissimo parsemés sur une blouse en organdi qu’on dirait sortie d’un temps lointain quand elle date de 2001.
Un croquis de 1976 représente une dame très Belle Époque coiffée de roses cueillies dans le jardin de Dar Es Saada, la propriété du couple Saint Laurent-Bergé à Marrakech. Sur un cliché de 1999, l’inoubliable Laetitia Casta en robe de mariée de guirlandes de fleurs, réinterprétation d’une autre de ses robes nuptiales de 1967 qu’avait portée Twiggy pour les pages de Vogue… À cette période-là, Saint Laurent lui-même commence à faire un travail d’autocitation, rappelle Olivier Saillard. Si j’étais le directeur artistique de sa marque aujourd’hui, je regarderais particulièrement ces collections qui racontent beaucoup de ce qu’il gardait de son œuvre.»
Jusqu’au 4 mai 2025 «Les Fleurs d’Yves Saint Laurent» au Musée Yves Saint Laurent, 5, avenue Marceau, Paris 16e.