Moscou tente de reprendre pied en Syrie, deux hauts responsables russes reçus à Damas
Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, a été reçu à Damas, mardi 29 janvier, par le nouveau dirigeant syrien, Ahmad al-Charaa et son ministre des Affaires étrangères, Assaad Al-Chibani, une première depuis la chute en décembre de Bachar al-Assad, allié du Kremlin.
"La rencontre s'est dans l'ensemble bien passée", a assuré Mikhaïl Bogdanov qui, selon les médias russes, était accompagné de l'envoyé spécial de Vladimir Poutine pour la Syrie, Alexandre Lavrentiev. Le haut responsable a ajouté que son pays était "prêt à contribuer à la stabilisation de la situation". Sur X, l'agence officielle syrienne Sana a publié une photo montrant Mikhaïl Bogdanov serrant la main d'Ahmad al-Charaa.
Les discussions "ont porté sur des questions clés, notamment le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la Syrie", a indiqué dans un communiqué la nouvelle administration syrienne.
"La Russie a affirmé son soutien aux changements positifs en cours en Syrie. Le dialogue a mis en évidence le rôle de la Russie dans le rétablissement de la confiance avec le peuple syrien par des mesures concrètes telles que les réparations, la reconstruction et le redressement", a-t-elle poursuivi.
Rendre "justice" aux victimes d'Assad
Selon elle, les discussions ont également porté sur la mise en place de "mécanismes de transition judiciaire" destinés à rendre "justice aux victimes de la guerre brutale menée par le régime d'Assad".
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"Le rétablissement des relations doit tenir compte des erreurs du passé, respecter la volonté du peuple syrien et servir ses intérêts", a-t-elle averti.
À l'issue d'une offensive éclair, une coalition rebelle dominée par le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Cham (HTC), dirigé par Ahmad al-Charaa, a renversé le 8 décembre Bachar al-Assad, qui s'est réfugié en Russie avec sa famille.
Sa fuite a constitué un revers pour Moscou, qui était, avec l'Iran, le principal soutien de l'ex-dirigeant syrien et intervenait militairement en Syrie depuis 2015.
Depuis, le sort de la base navale de Tartous et de l'aérodrome militaire de Hmeimim – des infrastructures clés pour la Russie afin de maintenir son influence au Moyen-Orient, dans le bassin méditerranéen et jusqu'en Afrique –, est en question.
Mikhaïl Bogdanov a indiqué espérer que les "intérêts (russes) ne souffriront pas" et qu'en l'état, la situation des bases russes "ne change pas" : "Cette question exigera des négociations supplémentaires".

"La donne a changé en Syrie. Si la Russie et l'Iran régnaient en maîtres avant à Damas, aujourd'hui les Russes doivent composer avec la Turquie, qui a soutenu l'offensive contre le régime de Bachar al-Assad et qui s'est dite hostile à la présence militaire russe dans le pays", décrypte Anne Corpet, spécialiste des questions internationales à France 24.
Même l'Ukraine, en conflit armé avec Moscou, entend peser contre un maintien de la Russie en Syrie. Kiev avait rompu ses relations diplomatiques avec Damas en 2022, à la suite de la reconnaissance par la Syrie de l'annexion de la Crimée en 2014.
Depuis la fuite de Bachar al-Assad, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a promis d'aider la Syrie à se reconstruire et a envoyé une première cargaison d'aide alimentaire : 500 tonnes de farine de blé.
"Des intérêts stratégiques profonds"
"Damas est soucieux d'attirer des investisseurs étrangers et pour atteindre ce but, il faut montrer son indépendance, notamment vis-à-vis de Moscou, ajoute Anne Corpet. Le nouveau pouvoir doit aussi veiller à la population syrienne et à son ressentiment à l'égard des Russes qui ont très violemment bombardé le pays à partir de 2015 pour sauver Bachar al-Assad qui a trouvé refuge à Moscou".
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La Russie a été vivement critiquée pour son intervention militaire en Syrie à partir de 2015 pour sauver le dictateur syrien. Elle a participé à la répression impitoyable des rebelles, notamment en menant des frappes aériennes dévastatrices.
Par conséquent, selon des observateurs, Moscou pourrait être contraint de réorganiser toute sa présence dans la région et de se replier sur d'autres points d'appui, comme par exemple en Libye, où des mercenaires russes ont soutenu le maréchal Khalifa Haftar.

Le nouveau dirigeant syrien, Ahmad al-Charaa, avait néanmoins adopté fin décembre un ton plutôt conciliant.
"Il existe des intérêts stratégiques profonds entre la Russie et la Syrie", avait-il affirmé lors d'une interview avec la chaîne Al-Arabiya, rappelant au passage que "tout l'armement syrien est d'origine russe et (que) de nombreuses centrales électriques sont gérées par des experts russes".
"Nous ne voulons pas que la Russie quitte la Syrie de la manière dont certains le souhaiteraient", avait-il ajouté.
Mi-décembre, le président russe Vladimir Poutine avait lui assuré que la chute de Bachar al-Assad n'était pas "une défaite", déclarant que Moscou y avait atteint son objectif en empêchant que le pays ne devienne "une enclave terroriste".
"Moscou va tout faire pour tenter de rester en Syrie, le nouveau pouvoir en est conscient et va sûrement monnayer cette présence d'autant qu'il a un besoin crucial d'argent pour redresser un pays dévasté par 14 ans de guerre", conclut Anne Corpet.
Avec AFP