Déficit, injustice, précarité : la réforme des retraites pénalise les plus fragiles sans redresser les comptes

« Juste et efficace » : c’est en ces termes que le gouvernement soutenait, en 2023, la réforme consistant à reculer l’âge de départ en retraite (64 ans au lieu de 62 ans) et à accélérer l’allongement de la durée de cotisation. « Inéquitable et inutile », répondaient en chœur ses opposants, largement soutenus par l’opinion publique. Deux ans plus tard, de nouvelles études sont venues apporter de l’eau au moulin des détracteurs du recul de l’âge légal.

D’abord, en illustrant de manière précise les effets dévastateurs pour les personnes les plus vulnérables. « Le premier effet (de la réforme de 2023) sera de maintenir en emploi environ 300 000 salariés qui auraient, s’ils l’avaient pu, choisi de prendre leur retraite plus tôt, résumait l’économiste Michaël Zemmour, en mars dernier. Le second sera de maintenir dans la précarité de 100 000 à 200 000 personnes, qui ne sont déjà plus en emploi à l’âge de 62 ans. »

En effet, il n’y a rien de mécanique à ce qu’un recul de l’âge légal augmente la durée d’activité de toute la population : certains travailleurs n’ont pas les moyens de travailler plus longtemps pour des raisons de santé ou d’éloignement de l’emploi. Ils basculent alors dans un sas de précarité en attendant de pouvoir prendre leur retraite. Les instituts de statistiques les classent dans la catégorie des « NER » (pour ni en emploi ni en retraite). Ces travailleurs survivent à coups de prestations sociales (allocation adulte handicapé, RSA…) ou d’allocation chômage.

Pour les ouvriers, moins de travail, plus de souffrance

La Cour des comptes, qu’on ne peut pas suspecter d’être un think tank gauchiste, a publié cette année une étude analysant les effets du recul de l’âge légal sur ces catégories de la population. Elle confirme que les réformes des retraites ne font souvent que prolonger leur calvaire. Durant la décennie 2010, sous l’effet notamment de la réforme sarkozyste de 2010 (passage de 60 ans à 62 ans), l’âge moyen de départ à la retraite a augmenté de 2,1 années pour l’ensemble des salariés.

Mais la Cour rappelle que, pour les ouvriers qualifiés, ce recul s’est surtout traduit par une augmentation du temps passé en invalidité (quatre mois supplémentaires) et du temps passé ni en emploi ni en retraite (six mois de plus). De même, les ouvriers non qualifiés ont passé un quart du temps supplémentaire en invalidité (six mois). Au total, pour l’ensemble des ouvriers, le recul de l’âge moyen ne s’est traduit qu’à 66 % par un allongement de la durée en emploi, contre plus de 85 % pour les cadres.

Les femmes payent généralement un lourd tribut au recul de l’âge légal : après 55 ans, elles sont plus fréquemment « ni en emploi, ni en retraite », en raison souvent de contraintes familiales ou personnelles (soin d’un enfant ou d’un proche, etc.). En 2021, 22 % des femmes à l’âge de 55 ans sont concernées (contre 17 % des hommes). Et, entre 62 et 69 ans, les femmes sont près de deux fois plus souvent « ni en emploi ni en retraite » que les hommes (11 % contre 6 %), « ce qui peut s’expliquer par des carrières plus souvent incomplètes, qui retardent l’atteinte du taux plein », souligne la Cour.

Réforme des retraites : des contreparties sociales au rabais

Cerise sur le gâteau, les auteurs rappellent que même si le recul de l’âge légal se traduit par une hausse du taux d’emploi des femmes, ces dernières ont deux fois plus de chances de se retrouver à temps partiel que les hommes. Injuste sur le plan social, la réforme de 2023 a-t-elle au moins permis de réaliser les économies avancées ? Il y a deux ans, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, formulait cette promesse solennelle : « Je garantis qu’en 2030, le régime des retraites sera à l’équilibre. » Raté ! Un récent rapport de la Cour des comptes estime que le déficit du régime devrait s’élever à environ 6,6 milliards d’euros à cette date et s’accroître ensuite.

Cet échec gouvernemental est à la fois lié à la dégradation de la conjoncture et à des économies plus faibles que prévu réalisées par la réforme, notamment en raison des maigres « contreparties » sociales accordées par l’exécutif pour faire avaler la pilule. Mais les défenseurs d’un recul de l’âge légal insistent sur ses effets bénéfiques pour l’économie : maintenir les salariés plus longtemps en emploi augmenterait la richesse créée.

Le raisonnement n’est pas faux, mais les gains attendus surévalués. « De 2010 à 2018, le taux d’emploi des seniors a déjà très fortement augmenté, sans que cela ait d’effets spectaculaires sur la croissance du PIB, qui a été atone », nous expliquait Michaël Zemmour, en janvier dernier. Plusieurs éléments viennent en effet contrecarrer les effets « bénéfiques » d’une hausse du taux d’emploi des seniors, comme le fait que le maintien d’un salarié âgé dans l’emploi peut retarder une embauche.

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