Une épée pour un « néohussard » : Éric Neuhoff, écrivain et critique au Figaro, fera son entrée à l’Académie française. Tout comme le dramaturge et réalisateur Florian Zeller. Le premier occupera le fauteuil de Gabriel de Broglie, le second celui d’Hélène Carrère d’Encausse, l’ancienne secrétaire perpétuelle de l’institution qui est décédée il y a deux ans, en août 2023. Mais, comme chacun sait, les Académiciens sont immortels. Un surnom que ces cardinaux de la langue française doivent à Richelieu. Nous y reviendrons.
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Le patronage de Richelieu
L’Académie est fondée en 1635 par Richelieu à une époque où les patois étaient de règle, où Paris se divisait entre le parler de la cour et celui de la « ville ». Alors que l’orthographe était anarchique, la grammaire, fluctuante, le ministre de Louis XIII a eu l’idée d’une institution qui donnerait ses règles à la langue, sur le modèle des académies florentines.
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Passer la publicitéNature et fonction
Sa mission, qui consistait au XVIIe siècle « à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences », n’a pas vraiment changé. L’Académie rédige un dictionnaire et se prononce sur des règles orthographiques. Elle défend, pour la langue, un savant équilibre entre « l’usage et la norme ». Après avoir joué au XVIIIe siècle un rôle fondamental avec la publication de trois dictionnaires (30% des mots changent alors d’orthographe), elle est devenue une gardienne du temple. Si elle consent depuis 1990 à la francisation de certains mots étrangers, pas question de céder face aux anglicismes et à l’écriture inclusive. Un « péril ».
Sont-ils vraiment immortels ?
Sur les bancs de l’Académie siègent depuis trois siècles des scientifiques, des prêtres, des historiens, des politiques. Et même des écrivains. La plupart d’entre eux peuvent se prévaloir d’une importante œuvre écrite, qui confirme leur aptitude à mener à bien leur mission. Leur surnom vient de la devise de l’Académie, « À l’immortalité », qui traduit l’objectif vers lequel tendent les efforts produits quai de Conti : perpétuer la langue. L’Académie « analyse les longs mouvements d’évolution de la langue », affirme l’immortel Frédéric Vitoux. « On a appelé, par extension, les académiciens les immortels, extension favorisée par le fait que leur nombre ne diminue jamais », précise le site de l’institution.
Marivaux, Hugo, Pétain et les autres
Avec les deux nouveaux entrants, l’Académie va compter 35 membres sur les 40 fauteuils. Un poste, celui de Jean-Denis Bredin, est vacant. La vacance n’a pas été encore annoncée pour quatre autres sièges. Parmi les noms illustres qui ont précédé : Montesquieu (1727), Marivaux (1742), Voltaire (1746), Chateaubriand (1811), Hugo (1841, après quatre candidatures) ou Pasteur (1881). Zola a essuyé 25 refus, quand Clemenceau, qui n’était pas candidat, est élu à l’unanimité en 1918. Il a été favorisé par les circonstances. Le maréchal Pétain (1929) a été exclu en 1945. Le regretté Mario Vargas Llosa, élu en 2021 à 85 ans, est le seul à n’avoir jamais écrit en français. Plusieurs étrangers siègent ou ont siégé quai de Conti, comme Julien Green (1972), Dany Laferrière (2015), ou actuellement Andreï Makine (2016) et François Cheng (2002).
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Neuf dictionnaires en quatre siècles
En quasiment quatre siècles, l’institution a produit neuf dictionnaires. Le premier date de 1694 - les mots n’y étaient pas rangés alphabétiquement, mais par familles ou par racines. Depuis 1986, l’Académie a publié progressivement sa 9e édition. Elle y a mis un point final fin 2024. Le Figaro avait assisté aux coulisses de sa fabrication. Chaque mot est décortiqué, analysé, passé en revue, proposé ou refusé.
Certains termes prennent moins d’une minute à être validés quand d’autres peuvent exiger plusieurs séances. Naguère, le mot « race » avait fait l’objet de longues discussions avant qu’une définition adéquate soit proposée par Claude Lévi-Strauss. Au-delà de trouver les bonnes définitions, l’Académie reste aussi attentive aux derniers termes à la mode. Après des siècles d’opposition, l’institution a accepté en 2019 de féminiser certains métiers (cheminote, contrôleuse, députée, docteure...).
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Passer la publicitéUne épée, un habit, un mot
Tout nouvel académicien reçoit une épée et un habit vert. En réalité, un habit de drap bleu foncé ou noir, brodé de rameaux d’olivier vert et or, confectionné par un grand couturier ou le tailleur de l’armée. Le moins cher du marché coûte environ 50.000 euros l’habit. Pour financer cet arsenal, un « comité de l’épée » est créé, chargé de lancer une souscription afin qu’un artiste fabrique cette arme blanche conçue comme un objet d’art. Autrefois marque d’appartenance à la Maison du roi, l’épée est désormais personnalisée. Simone Veil y fit graver son numéro de matricule au camp de Birkenau.
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Chantal Thomas lui préféra un éventail, un magnifique objet japonais de collection couleur or et rouge datant des années 1950. Jacqueline de Romilly, un sac brodé. Une salle des épées au Musée Marmottan Monet, à Paris, présente une belle collection d’épées d’académiciens. Moins connu, un mot est aussi attribué à l’impétrant par ses consœurs et confrères. Dominique Bona a reçu « urbanité », Dany Laferrière, « vaillance », François Sureau, « voguer ».
La gloire sans la fortune
« La répartition de l’indemnité académique obéit à des modalités assez compliquées », fait savoir l’Académie. Selon qui, les immortels touchent environ 3 810 euros par an net, soit 317,5 euros par mois. Le double, pour les quatre doyens d’âge et les quatre doyens d’élection.
Un institut, des académies
Destiné à attiser et préserver l’émulation intellectuelle de la fin du siècle des Lumières, l’Institut de France est fondé en 1795. Il abrite non seulement l’Académie française, mais aussi l’Académie des inscriptions et belles-lettres, l’Académie des sciences, l’Académie des beaux-arts (qui vient d’accueillir un nouveau membre), l’Académie des sciences morales et politiques (rejointe par Bernard Arnault l’an passé). Des liens existent entre elles, des projets communs liant les différentes assemblées.
Où sont les femmes ?
En 1760, D’Alembert proposait déjà de réserver quatre fauteuils aux femmes. Une initiative retoquée. La première candidate est la journaliste Pauline Savari, en 1893. « Les femmes ne sont pas éligibles puisqu’on n’est citoyen français que lorsqu’on a satisfait à la conscription », lui rétorque-t-on, non sans rouerie. En 1910, la candidature de Marie Curie est rejetée afin de ne pas créer de précédent.
Passer la publicitéEn 1980, Marguerite Yourcenar est la première femme élue, à l’initiative de Jean d’Ormesson. Non sans mal. Au total, onze femmes ont été élues. Cinq siègent actuellement. Mais l’Académie considère que les termes « immortel » et « académicien » ne doivent pas être féminisés. Élue en 1999, Hélène Carrère d’Encausse, la première à diriger l’Académie, tenait à ce qu’on l’appelle Madame «le» secrétaire perpétuel. Point à la ligne.