La santé mentale, un enjeu majeur si mal représenté sur la télévision publique

Le 3 juin 2025 au soir, France 2 diffusait l’émission « Parlons santé mentale », présentée comme un grand rendez-vous de sensibilisation. J’ai regardé, avec l’attention fébrile de celles et ceux qui espèrent, enfin, se voir représentés. Je suis moi-même concernée par des troubles psychiques. Ce que j’ai vu m’a bouleversée. Non pas par la justesse du propos, mais par l’abîme qu’il creusait entre la réalité et ce que l’émission en donnait à voir.

Une atmosphère de légèreté gênante, parfois déplacée, a plané tout au long du programme. Rires faciles, plaisanteries superficielles, échanges rythmés comme un talk-show du samedi soir… alors que le sujet mériterait silence, lenteur, écoute. L’ambiance semblait en totale dissonance avec la gravité du thème. Comme si la souffrance psychique pouvait être adoucie par un décor lumineux et des sourires forcés. C’est précisément cette dissonance qui m’a heurtée. Elle trahit une méconnaissance profonde de ce que signifie vivre avec des troubles psychiques : la solitude, l’errance, la peur, l’invisibilité.

À la place, on nous a parlé de « surf-thérapie »

Mais ce qui m’a le plus consternée, c’est ce que l’émission a choisi de passer sous silence. Aucun mot sur les centres médico-psychologiques saturés. Aucun mot sur les délais d’attente ahurissants, les six mois pour un premier rendez-vous. Aucun mot sur la pénurie dramatique de psychologues et psychiatres accessibles. Aucun mot, surtout, sur la réalité de l’hospitalisation psychiatrique en France : l’enfermement, l’isolement, le manque de moyens criant, les services surchargés. Rien de tout cela n’a été dit. Rien. À la place, on nous a parlé d’équithérapie, de « surf-thérapie »… des pratiques marginales, parfois inspirantes, mais qui ne concernent qu’une infime minorité. C’était comme présenter un banquet à des gens qui meurent de faim.

Et que dire des témoignages ? Brillants de brièveté, polis jusqu’à l’effacement. On a tendu le micro, oui, mais sans jamais vraiment écouter. On a parlé de santé mentale comme on parle de météo : rapidement, prudemment, sans aspérité. Aucun mot, là encore, sur les troubles borderline, pourtant si fréquents, si stigmatisés, si mal compris. Deux millions de personnes concernées, et pas une seule voix pour porter cette réalité. Comment ne pas y voir une forme d’effacement ?

Le message final, distillé à demi-mot, sonnait comme une injonction déguisée : mangez équilibré, dormez bien, faites du sport, allez voir un psy. Comme si les causes de la souffrance psychique se résumaient à une mauvaise hygiène de vie. Comme si tout cela relevait d’un simple choix, d’un effort individuel. Ce n’est pas seulement réducteur. C’est une négation en règle de la complexité de la détresse mentale. Et cela peut avoir des effets délétères sur celles et ceux qui regardent avec l’espoir d’être compris.

Cette émission m’a blessée

Oui, elle m’a blessée. Profondément. Elle m’a renvoyée à l’incompréhension, à la solitude, à l’impression de ne pas exister dans le regard collectif. Elle m’a même, je l’écris sans détour, donné des idées noires. Parce qu’il n’y a rien de plus violent, quand on souffre, que de se sentir caricaturé, ignoré ou effacé.

Ce qui m’a le plus glacée, c’est ce vide béant entre les discours policés qu’on nous sert et ce que nous vivons au quotidien.

Ce gouffre entre la communication rassurante du service public et la violence nue de la réalité : les mois d’attente pour un rendez-vous, l’impossibilité de trouver un professionnel, les hospitalisations sans suivi, les urgences saturées, les rechutes faute de soins, l’isolement qui tue. Ce gouffre, on y tombe. Tous les jours. Et pendant ce temps, on nous parle de surf-thérapie…

Tant que les médias continueront à fabriquer des récits lissés, déconnectés, édulcorés, ils ne feront qu’aggraver ce fossé.
Informer, ce n’est pas enjoliver. Sensibiliser, ce n’est pas divertir.

Parler de santé mentale, ce n’est pas aligner des slogans sur fond de lumière tamisée : c’est montrer le réel, même quand il dérange. Surtout quand il dérange.

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