Ce que l'on sait de la situation à Madagascar, où une partie de l'armée a apporté son soutien aux manifestants

Une prise de parole très attendue, plus de deux semaines après le début d'une colère populaire à Madagascar. Le président malgache, Andry Rajoelina, doit s'adresser à la nation à 19 heures, heure locale (18 heures à Paris), lundi 13 octobre, ont annoncé ses services dans un communiqué publié sur Facebook.

Les appels à la démission du chef de l'Etat se multiplient dans les rangs des manifestants mobilisés depuis fin septembre, mais également au sein d'une partie de l'armée. Franceinfo revient sur ce que l'on sait de la situation dans ce pays de 32 millions d'habitants, secoué par une mobilisation sociale et politique de grande ampleur.

Un mouvement de contestation initié il y a près de trois semaines

A Madagascar, des manifestations ont débuté le 25 septembre à l'appel d'un collectif baptisté "GenZ", en référence à la jeune génération née entre la fin des années 1990 et le début des années 2010. Ce mouvement dénonçait au départ les coupures incessantes d'eau et d'électricité, dans un pays où 75% de la population vivait sous le seuil de pauvreté il y a trois ans, selon les données de la Banque mondiale.

La mobilisation, d'abord sociale, s'est muée en une contestation plus large à l'égard des responsables politiques au pouvoir, notamment vis-à-vis du président Rajoelina, 51 ans, élu en 2018, puis réélu en 2023 lors d'un scrutin boycotté par l'opposition. D'après l'organisation de collecte et d'analyse de données Acled, observatrice de manifestations et de conflits dans le monde, ces rassemblements ont été en septembre les deuxièmes plus importants à Madagascar depuis 1997.

Une mobilisation violemment réprimée

Selon le Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU, au moins 22 personnes ont été tuées entre le 25 et le 29 septembre, et plus d'une centaine d'autres ont été blessées. Le représentant de ce bureau des Nations unies, Volker Türk, s'est dit "choqué" par "la réponse violente des forces de sécurité". Le président malgache a lui rejeté ce bilan, évoquant 12 morts et qualifiant les victimes de "pilleurs" et de "casseurs". Des officiers de la gendarmerie ont néanmoins reconnu "des fautes et des excès lors de (leurs) interventions", appelant à la "fraternité" entre eux et l'armée. De nombreux manifestants ont également été blessés jeudi 9 octobre par des balles de caoutchouc et des grenades assourdissantes. Certains ont aussi été frappés, d'après une équipe de l'AFP sur place.

Une grande foule s'est rassemblée dimanche pour prier devant l'hôtel de ville d'Antananarivo, la capitale du pays, en mémoire des victimes des violences. Lundi, plusieurs centaines d'étudiants sont de nouveau descendus dans les rues dans une ambiance festive, alors que le collectif GenZ a appelé à un nouveau rassemblement plus tard dans la journée.

Les manifestants ont obtenu ce week-end le départ du très contesté président du Sénat, Richard Ravalomanana, ancien commandant de gendarmerie et de l'homme d'affaires proche du chef de l'Etat Maminiaina Ravatomanga, qui a fui dimanche matin vers l'île Maurice voisine, comme l'a confirmé le gouvernement mauricien. Surnommé "Général Bomba" pour son recours généreux aux grenades lacrymogènes lors de la crise de 2009, Richard Ravalomanana était accusé par les contestataires d'être un des principaux acteurs de la répression des manifestations ces dernières semaines.

Une partie de l'armée solidaire des manifestants 

Le Corps d'armée des personnels et des services administratifs et techniques (Capsat), une unité militaire qui avait pris part au coup d'Etat de 2009 propulsant Andry Rajoelina au pouvoir, a appelé samedi à "refuser les ordres de tirer" sur les manifestants. "Unissons nos forces, militaires, gendarmes et policiers, et refusons d'être payés pour tirer sur nos amis, nos frères et nos sœurs", ont déclaré dans une vidéo des soldats de cette unité mutinée, stationnés sur l'importante base militaire du district de Soanierana, en périphérie d'Antananarivo.

"Les jeunes peinent à trouver du travail alors que la corruption et le pillage de la richesse ne cessent de s'accroître sous différentes formes", et que "les forces de l'ordre persécutent, blessent, emprisonnent et tirent sur nos compatriotes", ont-ils souligné. Ces militaires, dont un a été samedi par des gendarmes, ont également demandé à leurs acolytes postés devant les palais présidentiels de quitter leurs positions, et à bloquer l'aéroport. Des soldats sont ensuite entrés dans le centre de la capitale pour rejoindre des milliers de manifestants qui les ont accueillis avec joie.

Tôt dimanche, des officiers du Capsat ont diffusé une nouvelle déclaration en vidéo, dans laquelle ils ont annoncé que "tous les ordres de l'armée malgache, terre, air, mer, émaneront du quartier général du Capsat". Ils ont également annoncé avoir nommé un nouveau chef d'état-major de l'armée, le général Démosthène Pikulas. Celui-ci a été installé à son poste (vacant) lors d'une cérémonie au quartier général de l'armée, à laquelle a participé le ministre des Forces armées, Manantsoa Deramasinjaka Rakotoarivelo. "Je lui donne ma bénédiction", a-t-il lancé. 

Le président dénonce "une tentative de prise du pouvoir illégale"

En réaction à ces événements qui le visent directement, Andry Rajoelina a dénoncé dans un communiqué "une tentative de prise du pouvoir illégale et par la force, contraire à la Constitution et aux principes démocratiques actuellement en cours sur le territoire national". "Le dialogue est la seule voie à suivre et la seule solution à la crise", a-t-il ajouté. Sur fond de rumeurs d'une fuite à l'étranger, la présidence malgache a également assuré qu'Andry Rajoelina "reste dans le pays" et "continue de gérer les affaires nationales". Il avait nommé le 6 octobre un général Premier ministre, après le renvoi de son gouvernement pour tenter de calmer la contestation. 

Le colonel du Capsat, Michael Randrianirina, a assuré en réponse que la décision de son unité de rejoindre les manifestants ne constituait pas une tentative de putsch. "Nous avons répondu aux appels du peuple, mais ce n'était pas un coup d'Etat", a-t-il déclaré à des journalistes dimanche.