Chine : un défilé militaire XXL pour affirmer ses ambitions militaires et territoriales

Au moins 70 minutes de bruits de bottes, de vols de drones de combat et d’autres démonstrations bling-bling de ses capacités militaires. La Chine se prépare à organiser, mercredi 3 septembre, le plus important défilé militaire de son histoire récente pour célébrer les 80 ans de la victoire chinoise contre le Japon en 1945.

Cette démonstration de force XXL est censée rassembler plus de 10 000 soldats, plus de 100 avions et des centaines des véhicules blindés à Pékin, ainsi que de nouveaux modèles de missiles et de robots militaires, précise le site Wired.

Démonstration de force

Le défilé de la "Victoire" représente le point d’orgue de plusieurs jours de manœuvres diplomatiques et géopolitiques en Chine, débuté avec le sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), lundi 1er septembre.

Ce grand raout rassemblant plus de 20 chefs d’État et de gouvernement doit permettre au président chinois Xi Jinping de se présenter comme le socle d’un "nouvel ordre mondial alternatif à celui des pays occidentaux", souligne Marc Lanteigne, spécialiste de la Chine à l’université arctique de Norvège.

À cette occasion, Xi Jinping et d’autres responsables du Parti communiste chinois ont souligné à quel point ce nouveau bloc réuni autour de la Chine œuvrait pour la "paix et la stabilité" mondiale, ont souligné les médias officiels chinois.

Une extension de votre navigateur semble bloquer le chargement du lecteur vidéo. Pour pouvoir regarder ce contenu, vous devez la désactiver ou la désinstaller.

© France 24

Une posture que Pékin justifie par l'agressivité tarifaire inédite lancée par le grand rival américain dirigé par Donald Trump, de l’autre côté du Pacifique. À ses côtés, Vladimir Poutine, le président d’une Russie qui a lancé une guerre d’invasion contre l’Ukraine en 2022, est l’un des invités d’honneur de Xi Jinping, à la fois pour le sommet de l’OCS et pour la grande parade militaire.

Devant le président russe – et le dictateur nord-coréen Kim Jong-un, également convié à ce grand spectacle –, les militaires chinois qui défileront mercredi à Pékin n’avanceront cependant pas la fleur au fusil. "C’est une volonté de faire une démonstration de force et d’unité de ces pays", assure Axel Berkofsky, codirecteur du Centre des études asiatiques à l’Institut pour les études de politique internationale (ISPI).

Soldats et "loups robots" ?

"Il s’agira très probablement de dévoiler toutes les innovations technologiques intégrées à l’armée afin d’effacer une fois pour toute l’image d’imitateur d’armement d’autres pays", souligne Marc Lanteigne. Sur la page internet consacrée à ce défilé, le gouvernement chinois insiste ainsi sur l’aspect 100 % "made in China" de toutes les armes qui seront présentées.

Ce sera même un peu plus que la démonstration du savoir-faire militaire chinois, veut croire Carlotta Rinaudo, spécialiste de la Chine à l'International Team for the Study of Security (ITSS) Verona. "Le défilé fera probablement penser à de la science-fiction par moment", assure-t-elle. "L’ambition devrait être de démontrer que si les guerres à venir seront technologiques, la Chine est à la pointe de ce secteur", affirme Carlotta Rinaudo.

Elle s’attend notamment à voir soldats humains et des robots militaires - telle que la "meute de loups robots" très couverte par les médias chinois ces dernières semaines" - défiler cote à cote. Pékin espère ainsi convaincre les pays tentés par un rapprochement avec la Chine "qu’elle n’est pas seulement une superpuissance économique mais qu’elle offre aussi une alternative militaire crédible à l’ordre international dominé par les États-Unis", précise Marc Lanteigne.

Promouvoir le rôle de la Chine durant la Seconde Guerre mondiale

Le défilé reflète aussi l’obsession de Xi Jinping de se servir de l’histoire à des fins très politiques. Célébrer la victoire contre le Japon n’est, en effet, pas une affaire ancienne en Chine. "C’est Xi Jinping qui l’a imposé à partir de 2015. Avant, il y avait parfois des défilés militaires lors des fêtes nationales qui célèbrent la fondation de la République populaire de Chine en 1949. La décision d’en faire un rendez-vous annuel pour se remémorer la fin de la guerre contre le Japon permet au PCC de rappeler qu’il dirige un pays qui a fait partie des forces alliés ayant remporté la Seconde Guerre mondiale", note Frans-Paul van der Putten, spécialiste des questions de sécurité chinoise à l’Institut néerlandais des relations internationales Clingendael. Une manière de se mettre du bon côté de l’Histoire, "alors même que le parti communiste ne dirigeait pas encore le pays", ajoute cet expert.

À lire aussiChine : "Comme Mao Zedong, Xi Jinping veut marquer l'Histoire"

En mettant l’accent sur la victoire contre l’envahisseur japonais, Xi Jinping se présente aussi comme le dirigeant d’une Chine qui assume "de ne plus être ce pays militairement humilié que tout le monde pouvait envahir", souligne Axel Berkofsky. Une référence notamment à la coalition de troupes de huit pays – France, Royaume-Uni, Russie, Allemagne, Japon, États-Unis, Autriche et Italie – qui a envahi la Chine en 1901.

Mais ce défilé participe également à un effort plus profond de revaloriser le rôle de la Chine durant la Seconde Guerre mondiale. "Il y a de plus en plus de débats et d’articles dans les médias qui soulignent l’importance de la contribution chinoise à la défaite japonaise et qui regrettent que le récit officiel de la Seconde Guerre mondiale en Occident minimise ce rôle", note Marc Lanteigne.

"La Chine et la Russie ont été les théâtres principaux de la Seconde Guerre mondiale en Asie et en Europe", avait même affirmé Xi Jinping en mai lors de sa visite en Russie à l’occasion du défilé militaire russe du 9 mai pour célébrer la fin de la "Grande Guerre patriotique" soviétique contre l’Allemagne nazie.

Dans ce contexte, les autorités chinoises espèrent "que la couverture médiatique internationale du défilé pour les 80 ans de la victoire contre le Japon permettra d’attirer l’attention sur la contribution parfois méconnue de la Chine", assure Frans-Paul van der Putten.

Mais pour le PCC, ce n’est pas qu’une question de rectifier le tir historique. Les "débats en Chine concernent aussi le rôle respectif du parti communiste et des nationalistes chinois dans la guerre contre les Japonais. Le but étant de minimiser le rôle des nationalistes", explique Marc Lanteigne.

C’est important car derrière cette bataille mémorielle, il y a la revendication de Pékin sur Taiwan, souligne le Brookings Institute dans un article sur le sens caché des défilés militaires. En effet, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la déclaration du Caire en 1943, reprise lors de la conférence de Potsdam en 1945 souligne que le Japon devait "restituer les territoires volés" dont Taïwan. Mais à qui ? Si le PCC réussit à imposer sa lecture de la guerre, cela conforterait, à ses yeux, l’idée que Taïwan doit faire partie de la Chine communiste.

L’idée d’un défilé militaire pour célébrer la victoire contre le Japon "montre encore une fois à quel point Xi Jinping est passé maître dans l’art d’aller piocher dans l’Histoire des éléments qu’il utilise ensuite pour atteindre des objectifs très actuels", résume Carlotta Rinaudo.

Ce sera donc un défilé à buts multiples : assurer le spectacle et marqué les esprits sur la scène internationale, pousser ses pions politiques en coulisses, et après une purge inédite de généraux ces derniers mois, "montrer que le gouvernement contrôle fermement l'armée", conclut Marc Lanteigne.