Le marathon parisien de Volodymyr Zelensky pour demander à la France «d’en faire plus»
Les nouvelles du front sont mitigées. L’offensive russe au nord de Kharkiv, la deuxième ville d’Ukraine, doit désormais faire face à de possibles frappes dans la profondeur du territoire russe. Si les Occidentaux ont encore posé des restrictions, ils ont autorisé l’usage de l’artillerie ou de missiles américains ATACMS contre les positions adverses. Mais les forces du Kremlin maintiennent leur inexorable pression. Alors le président ukrainien Volodymyr Zelensky poursuit son chemin, inlassablement, pour demander toujours plus à ses partenaires. Avant de participer au G7 en Italie puis au sommet pour la paix prévu en Suisse, il a fait escale jeudi et vendredi en Normandie, puis à Paris. Volodymyr Zelensky a exhorté ses soutiens à poursuivre leurs efforts contre le « mal » représenté par la Russie.
Si la France n’est pas le principal soutien militaire de l’Ukraine en volume et après avoir longtemps cherché à maintenir un lien, même ténu, avec Moscou, le président Emmanuel Macron fait désormais partie des plus déterminés à faire face au danger. « Emmanuel, je te remercie de ne pas avoir laissé l’Europe sans leader », a déclaré le président ukrainien à la tribune de l’Assemblée nationale. Volodymyr Zelensky sait qu’il doit politiquement prendre soin de ses alliés. Les deux chefs d’État ont tenu une conférence de presse commune vendredi en fin de journée.
«Vaincre le mal»
Auparavant, Volodymyr Zelensky s’était livré à un marathon politico-diplomatique à Paris, qui avait commencé tôt le matin par une cérémonie en son honneur aux Invalides. Devant les parlementaires, qui l’ont ovationné debout, il a exhorté ses partenaires à maintenir leur effort de guerre pour parvenir « à une paix juste ». « Il faut plus, ce n’est pas un reproche », a-t-il assuré. « Il faut faire plus pour vaincre le mal », a-t-il insisté. « De nouveau en Europe, les villes sont entièrement détruites et des villages sont incendiés. De nouveau en Europe, apparaissent des camps de filtration, des déportations et la haine. Tout cela vise aujourd’hui l’Ukraine mais peut viser d’autres pays demain. Le régime russe ne connaît pas de limites. Il menace et il avance là où il ne rencontre aucune résistance », a-t-il assuré, qualifiant Vladimir Poutine « d’ennemi commun » de l’Ukraine et de l’Europe.
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Dans le prolongement du président américain, Joe Biden, la veille sur les plages du débarquement, il a dépeint le président russe en successeur d’Adolf Hitler. « Poutine, c’est l’anti-Europe », a-t-il dit en mettant en garde ceux qui seraient tentés de vouloir négocier une paix avec Moscou sur la ligne de front actuelle. « Il n’y a pas de ligne pour (arrêter) le mal », a-t-il estimé.
Les lignes rouges que s’étaient fixées les Occidentaux s’effacent les unes après les autres. Face à une menace qui ne faiblit pas, le président de la République, Emmanuel Macron, a franchi jeudi une nouvelle étape en promettant la livraison d’avions de chasse Mirage 2000-5*. Depuis des mois, l’hypothèse était écartée par les autorités politiques et militaires françaises pour des raisons logistiques (la difficulté à entretenir un parc hétérogène) comme militaires. L’armée de l’air dispose aujourd’hui de seulement 26 Mirage 2000-5 utilisés pour des missions de police du ciel en France, mais qui ont aussi été déployés pour des missions de réassurance aérienne dans les pays Baltes dans le cadre de l’Otan. Chaque appareil cédé réduira le format de l’armée de l’air et pèsera sur ses missions. Elle n’est censée passer au tout Rafale qu’en 2030. Mais la volonté politique d’imposer un symbole l’a emporté sur les discours précédents.
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Quoi qu’il en soit, ces avions ne seront pas livrés avant plusieurs mois. Les F 16 promis l’année dernière ne sont toujours pas opérationnels… Paris essaie aussi de convaincre des pays utilisateurs de Mirage 2000, comme la Grèce, de céder certains appareils. À voir. « L’urgence c’est la formation » des pilotes, a assuré Sébastien Lecornu, après avoir reçu Volodymyr Zelensky au ministère des Armées. Mais les capacités de formation de pilotes par l’armée de l’air sont limitées à une trentaine par an en tout…
Une production d’obus de 155 mm en Ukraine
Malgré les grands discours de ses soutiens, les prochains mois seront rudes sur le front. Les Ukrainiens ont « besoin de former entre 15 et 20 brigades » de plus de 4000 soldats chacune, a observé le ministre des Armées en se félicitant que la France se charge d’en former et équiper une. Ces formations n’auront pas lieu en Ukraine pour l’instant, faute de soutien à cette proposition française. Les États-Unis ont notamment fait part de leur scepticisme à leurs partenaires.
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L’engagement occidental et français en Ukraine se poursuit néanmoins. Vendredi matin, KNDS, qui produit notamment le canon d’artillerie Caesar, a signé trois contrats symboliques avec des entreprises partenaires ukrainiennes. Elle a notamment signé un transfert de production d’obus de 155 mm en Ukraine avec l’entreprise KZVV. Deux autres lettres d’intention signées avec Enmek portent sur la maintenance des canons d’artillerie et l’impression 3D de pièces de rechange. Plus tard dans la journée, après s’être entretenu avec le secrétaire d’État à la Défense américain, Lloyd Austin, le ministre s’est félicité des travaux en cours qui devraient permettre d’intégrer les bombes françaises A2SM aux avions F 16 bientôt livrés à l’Ukraine.
Vendredi, les États-Unis ont annoncé une 59e aide militaire, comprenant des missiles de défense aérienne Hawk, des pièces d’artillerie, des munitions… pour un montant de 225 millions de dollars. Mais face à la détermination occidentale, Moscou surenchérit dans ses menaces, dans l’objectif de semer la peur. « Tant que nous ne laissons pas de place à des malentendus ou à des évaluations erronées à Moscou ou dans d’autres capitales de pays qui pourraient potentiellement nous attaquer, il n’y a pas de menace militaire contre les pays de l’Otan », a commenté vendredi le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, dans une formule aux résonances étranges.
*Le groupe Dassault est propriétaire du « Figaro ».