Énergie et industrie : "Face à Trump, il faut nous forger de nouvelles alliances, notamment avec la Chine et l’Inde", affirme François Gemenne

Le Pacte vert de l’Union européenne est sujet à d’intenses pressions depuis l’élection de Donald Trump. Avec ses promesses de taxes allégées sur son territoire et de hausses de frais de douane à escompter, le président américain drague les industriels, qui se plaignent par ailleurs des réglementations européennes et du coût de l'énergie.

La Commission européenne tente donc de lancer un programme pro-business pour retenir les investisseurs. Mais parallèlement, comment gérer la transition énergétique, le coût des investissements verts, et l'énergie immédiate si chère à l'importation ? Malgré ce contexte inquiétant, François Gemenne trouve là une occasion pour l'Europe de tracer sa voie et de réinventer son modèle économique.

Une Europe tétanisée par la peur du déclassement économique

François Gemenne : Donald Trump a lancé à toute vitesse le train de la dérégulation. Tout ce qui sera produit aux États-Unis sera délivré de toute contrainte environnementale et fiscale, et tout ce qui sera produit hors des États-Unis sera sanctionné par des tarifs douaniers délirants.

Autre raison, l’énergie en Europe est beaucoup plus chère qu’aux États-Unis. En France, l’électricité coûte environ deux fois plus cher, et le différentiel est encore beaucoup plus important dans d’autres pays, notamment en Allemagne. Et le problème est que les industries lourdes sont très consommatrices d’électricité, sans compter l’intelligence artificielle. Or, la clé de la compétitivité de nos entreprises, c’est leur accès à une énergie abondante et bon marché. C’est ce qu’avait justement observé l’ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, quand il avait rendu son rapport sur la compétitivité des industries européennes en septembre dernier.

"Tous les gros industriels français le disent : ce qui pénalise nos entreprises, ce n’est pas le coût plus élevé de la main-d’œuvre, c’est le coût de l’énergie."

François Gemenne

à franceinfo

Et donc, quand Donald Trump promet de "Drill, baby, drill" ["Allons forer", en référence à l'exploitation du gaz de schiste dans le sous-sol américain] pour faire encore baisser le coût de l’énergie, c’est la panique à bord.

Prôner la sobriété énergétique dans un contexte de dérégulation ?

L'industrie européenne a donc l’impression d’être le dindon de la farce, d’être ensevelie sous des montagnes de paperasse qui vont faire fuir ses entreprises aux États-Unis. Et la tentation est grande, évidemment, de tout envoyer balader. Pourquoi s’imposer des règles, des limites, alors que les autres s’en fichent complètement et se désengagent ? Pourtant, le Green Deal européen a encore du sens dans ce contexte. Plus que jamais, en réalité. Abandonner le Green Deal, ce serait évidemment une catastrophe pour le climat, mais ce serait aussi une catastrophe pour nos entreprises.

La clé de la compétitivité de nos entreprises, c’est l’énergie. Et si on est contraints de l’acheter à l’étranger, on va la payer très cher. On a essayé d’acheter du gaz à la Russie, ça nous a coûté cher. Et le premier producteur mondial de pétrole, ce sont les États-Unis et Donald Trump ne nous fera sans doute pas de prix d’ami.

"Si on veut faire baisser le prix de l’énergie, il va falloir la produire nous-mêmes."

François Gemenne

à franceinfo

Et en Europe, on n’a pas de pétrole, presque plus de charbon, et très peu de gaz. Donc, on ne va pas pouvoir "drill, baby, drill". Par contre, on peut faire du nucléaire et des renouvelables. Le nucléaire, c'est super pour le climat, ça ne produit quasiment pas de dioxyde de carbone, mais ça demande des investissements très lourds, et les poches des gouvernements européens sont vides. Restent les renouvelables, qui sont déployables plus facilement et rapidement.

La Chine et ses panneaux solaires, un exemple à suivre

En 2024, la Chine a investi quasiment 1 000 milliards de dollars dans les énergies renouvelables. Elle n'est pourtant pas gouvernée par des écolos. C’est simplement parce qu’ils ont parfaitement compris que c’était là que se trouvait la clé de la compétitivité de leurs entreprises, et donc de leur domination de l’économie mondiale. À mon avis, à Pékin, ça les fait un peu rigoler de voir les Américains miser sur les énergies fossiles. C’est comme si Orange décidait de relancer la téléphonie fixe en France.

"La meilleure réponse aux politiques fossiles de Trump, ce n’est pas de s’engager dans la même voie. C’est de tracer la nôtre. D’arrêter de voir le Green Deal comme une contrainte, mais comme un modèle économique d’avenir, qui permette de réinventer la création de valeur. Nous restons un continent avec un très haut niveau d’éducation, avec d’excellentes infrastructures."

François Gemenne

à franceinfo

Nous ne sommes pas sans atouts, il faut arrêter de nous lamenter. Par contre, il faut forger de nouvelles alliances, notamment avec la Chine et l’Inde. Dans l’intérêt du climat, et dans l’intérêt de nos industries. Et je vous le dis non seulement en tant que chercheur qui travaille sur le climat, mais aussi en tant européen concerné par le futur de nos industries.