Cinq questions sur l'offensive des rebelles dans l'est de la République démocratique du Congo
Une escalade des hostilités en République démocratique du Congo. Ces derniers jours, au moins six soldats appartenant aux troupes d'une force régionale de maintien de la paix ont été tués dans des combats contre le groupe armé antigouvernemental M23, dans l'est du pays. Trois soldats sud-africains sont morts, a annoncé un syndicat de l'armée sud-africaine dans un communiqué publié samedi 25 janvier, ainsi que trois soldats malawites, selon un porte-parole des Forces de défense du Malawi.
Le conflit dure depuis plus de trois ans, mais s'est intensifié depuis jeudi avec des affrontements sur plusieurs fronts, à moins de 10 km de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu. La communauté internationale a exhorté les rebelles à interrompre leur avancée sur la ville, encerclée par les combats. Face au risque de "dégradation rapide" de la situation sécuritaire, la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont appelé vendredi leurs ressortissants à quitter Goma, qui abrite un million d'habitants. Franceinfo fait le point sur la situation.
1 Qui sont les belligérants ?
Les combats opposent les forces armées de la République démocratique du Congo et les rebelles du mouvement M23. L'armée congolaise est soutenue par les pays de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) dont elle est membre. L'Afrique du Sud a ainsi déployé 2 900 soldats au sein de la SAMIRDC, une force qui comprend également des militaires du Malawi et de Tanzanie. La mission des Nations unies en RDC (Monusco), déjà présente sur le territoire depuis 1999, est également engagée aux côtés de l'armée congolaise avec 12 000 Casques bleus.
De l'autre côté, le M23 est issu d'une ancienne rébellion tutsie congolaise. Il a vu le jour en 2012 après une mutinerie d'anciens rebelles du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) intégrés au sein de l'armée congolaise. Le M23 bénéficie du soutien de 3 000 à 4 000 soldats rwandais, selon un rapport de l'ONU diffusé en juillet 2024. Bien que le gouvernement rwandais nie officiellement tout soutien au groupe rebelle, Kigali a un "contrôle de fait" sur les rebelles, d'après les Nations unies.
2 Quel est l'objet de la discorde ?
Le conflit mêle des intérêts à la fois politiques et économiques. Les mutins du M23 reprochent au gouvernement congolais de ne pas avoir respecté les clauses de l'accord de paix signé le 23 mars 2009 (d'où leur nom "Mouvement du 23 mars", abrégé en M23). Celui-ci permettait aux ex-rebelles d'être réintégrés au sein de l'armée régulière, tout en gardant l'une de leur principale source de revenus : le contrôle de l'exploitation de minerais précieux dans le Nord-Kivu. La zone est particulièrement riche en ressources naturelles comme le coltan, l'or et la cassitérite, dont le groupe rebelle fait commerce avec le Rwanda. Kinshasa accuse d'ailleurs son voisin rwandais de vouloir faire main basse sur les richesses de l'Est congolais, ce que Kigali conteste.
Fin 2013, des accords de paix avaient été signés à Nairobi (Kenya) entre Kinshasa et le M23 pour ouvrir la voie au rapatriement des combattants de l'ex-rébellion en vue de leur réinsertion dans la vie civile. Cette opération se trouve toutefois au point mort. Depuis novembre 2021, les rebelles du M23 ont repris les hostilités en RDC en réponse au non-respect des engagements pris à Nairobi.
Le M23 assure défendre les intérêts de la communauté tutsie congolaise, qu'il considère comme marginalisée dans la région. En réalité, "il s'agit d'une rhétorique politique", analyse Thierry Vircoulon, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (Ifri). "Leur objectif est de garder contrôle des ressources minières du Nord-Kivu."
3 Où en est le conflit ?
En janvier, le M23 a pris le contrôle de villes stratégiques comme Masisi, Saké et Minova, plaçant la capitale provinciale de Goma sous menace directe. "Ils ont lancé une offensive fin décembre et ne cessent de prendre du territoire au Nord-Kivu. Ils sont assez libres de leurs mouvements. Ils ont étendu leur zone de contrôle en direction de l'ouest et du sud-ouest : ils détiennent plus ou moins tout le sud de la province du Nord-Kivu", résume Thierry Vircoulon, qui anticipe une avancée "vers le Sud-Kivu, où ils ne sont pas encore arrivés". Entre avril et début novembre 2024, les forces rebelles ont accru leur territoire de 30%, selon un rapport de l'ONU publié début janvier.
La situation est particulièrement instable : une rencontre entre les présidents congolais Félis Tshisekedi et rwandais Paul Kagame, dans un processus chapeauté par l'Angola, a été annulée fin décembre faute d'entente sur les conditions d'un accord. La Turquie, très active sur le continent africain, a proposé jeudi de reprendre une médiation entre les deux pays. Une demi-douzaine de cessez-le-feu et trêves ont déjà été décrétés dans la région, puis rompus. Le dernier cessez-le-feu avait été signé fin juillet.
4 Quelles conséquences pour les civils ?
Les combats ont fait plus de 400 000 déplacés en République démocratique du Congo depuis début janvier, a alerté l'ONU vendredi, estimant qu'une attaque sur Goma serait "catastrophique". Ce chiffre s'ajoute aux près de sept millions de personnes déjà déplacées, selon un décompte de l'ONU fin 2023. L'agence a fait état de bombardements touchant des camps de réfugiés et d'hôpitaux presque saturés de civils blessés.
L'ONG Human Rights Watch a également mis en garde samedi contre une situation qui devient "de plus en plus dangereuse" pour les civils à Goma et évoqué des "besoins humanitaires énormes". "Il n'y a que deux routes d'accès à Goma et celles-ci sont déjà sous le contrôle du M23", explique Thierry Vircoulon. Les Nations unies ont commencé à évacuer leur personnel "non essentiel" de Goma vers la capitale Kinshasa (à l'autre bout du pays) ou vers l'Ouganda voisin.
"Les violations des droits de l'homme, notamment les pillages, les blessures, les meurtres, les enlèvements et les arrestations arbitraires de personnes déplacées prises pour des rebelles, se sont intensifiées" dans les provinces du Sud et du Nord-Kivu, selon les Nations unies. "Les terribles exactions commises par le M23 (...) et les armées rwandaise et congolaise devraient servir d'avertissement sévère aux gouvernements concernés : ils doivent faire pression sur les parties belligérantes pour qu'elles protègent les civils", a plaidé Clémentine de Montjoye, de l'ONG Human Rights Watch.
5 Comment réagit la communauté internationale ?
La communauté internationale condamne globalement l'offensive du M23. Dans un communiqué publié samedi, l'Union africaine "appelle à la stricte observation du cessez-le-feu convenu entre les parties et la cessation immédiate de toutes les hostilités" et "exhorte intensément les parties à préserver la vie des populations civiles".
L'Union européenne a demandé au groupe d'"arrêter son avancée" et de "se retirer immédiatement". "L'UE réaffirme que le Rwanda doit cesser de soutenir le M23 et se retirer", ont ajouté les Vingt-Sept dans un communiqué. Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a appelé jeudi le groupe à "cesser immédiatement son offensive, à se retirer de toutes les zones occupées et à respecter l'accord de cessez-le-feu", selon un communiqué des Nations unies. Une réunion d'urgence du Conseil de sécurité des Nations unies sur la RDC est prévue lundi.