Accord UE-Mercosur : pourquoi la France a-t-elle changé d'avis malgré l'absence de modification du texte ?

L'accord commercial entre l'Union européenne et les pays du Mercosur poursuit son parcours juridique mais demeure contesté. Quarante-quatre organisations, dont la Confédération paysanne, la CGT ou encore Greenpeace, ont demandé mardi 28 octobre à Emmanuel Macron de "clarifier" la position de la France et à "construire une minorité de blocage" au niveau européen pour empêcher la ratification du texte.

Cet appel risque de rester lettre morte. La France attend le travail de "finalisation" de la Commission européenne pour la mise en œuvre de l'accord, a déclaré le président français lors d'une conférence de presse à Bruxelles, à l'issue d'un Conseil européen, le 23 octobre. "Tout ça va dans le bon sens pour protéger les secteurs qui sont les plus exposés et protéger les consommateurs européens afin d'avoir une juste concurrence", a poursuivi le locataire de l'Elysée. Comment expliquer ce changement radical de discours de la France alors qu'Emmanuel Macron avait qualifié l'accord de "mauvais texte" lors de sa visite au Salon de l'agriculture en février ?

Des clauses de sauvegarde ajoutées

"L'accord est tel qu'il a été adopté à Montevideo", en Uruguay, en décembre 2024, a rappelé en septembre Maros Sefcovic, commissaire européen chargé du commerce, lors d'une conférence de presse aux côtés de Kaja Kallas, la cheffe de la diplomatie européenne. "Le texte n'a pas été modifié d'une seule virgule" entre février et octobre, a critiqué l'économiste Maximes Combes, opposant au texte lié au collectif StopUEMercosur, sur le réseau social Bluesky.

Dans les faits, l'accord est effectivement resté intact. La Commission européenne l'a "complété" par un "acte juridique", c'est-à-dire un document écrit, qui se place à côté de l'accord sans l'altérer. Ce texte entend répondre aux inquiétudes de plusieurs pays, dont la France, en consolidant des mesures de protection, appelées clauses de sauvegarde. "Les mesures supplémentaires proposées par la Commission répondent directement aux priorités et aux préoccupations exprimées", écrit l'exécutif européen. Cet "acte juridique spécifique" doit servir à "rendre opérationnel le chapitre sur les garanties bilatérales" déjà présentes dans l'accord, poursuit la Commission.

Un "suivi renforcé" promis par la Commission

L'accord de libre-échange entre l'UE et les pays du Mercosur (l'Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay) dessine "la plus grande zone de libre-échange du monde", selon l'exécutif européen. Il s'agit du "plus grand accord commercial jamais signé", a vanté Maros Sefcovic. Mais son émergence s'accompagne de plusieurs craintes liées à des problèmes de concurrence déloyale entre les produits européens et ceux provenant des pays du Mercosur, à des importations de produits qui risquent de bousculer des filières déjà fragilisées, comme le bœuf, ou encore à l'utilisation de produits interdits au sein de l'UE mais autorisés dans ces cinq pays sud-américains.

Les mesures de protection consignées par écrit par la Commission européenne concernent la mise en place d'un "suivi renforcé" de certaines filières afin de répondre aux appréhensions. Les mécanismes pourront être activés si "l'augmentation des importations en provenance du Mercosur cause – ou menace de causer – un préjudice grave aux secteurs concernés de l'UE", écrit la Commission dans un communiqué.

Sur son site, la Commission précise qu'elle s'engage à suivre "de près les tendances du marché, afin d'être en mesure d'identifier les risques en amont, ce qui laissera davantage de place pour réagir". Elle promet aussi une "transparence totale" et s'engage à transmettre "tous les six mois un rapport de suivi au Conseil et au Parlement européen afin d'évaluer les incidences des importations". Si un "préjudice grave" était identifié, elle pourra "retirer temporairement les préférences tarifaires" appliquées à ces produits. Elle assure également qu'une enquête pourra être déclenchée "à la demande d'un seul Etat membre".

Ces mesures annoncées en septembre par la Commission européenne ont été de nature à rassurer la France, la conduisant à assouplir sa position. "On a les clauses de sauvegarde, le renforcement des contrôles douaniers, les soutiens à l'élevage, beaucoup de mesures d'accompagnement, aussi un meilleur contrôle des produits sanitaires et phytosanitaires qui entrent sur notre sol qui sont en train d'être mis en œuvre", a fait valoir Emmanuel Macron. "On attend aussi la notification aux pays du Mercosur de ces mesures de sauvegarde et de cet accompagnement indispensable qu'on a demandé", a-t-il ajouté.

Les syndicats toujours pas convaincus

Si le président et le gouvernement sont rassurés, des dizaines d'organisations ne sont pas convaincues par ces mesures. Les Jeunes agriculteurs et la FNSEA, premier syndicat agricole, ont dénoncé le 7 septembre un "accord toxique". Les différentes mesures sont insuffisantes, a jugé Thomas Gibert, porte-parole de la Confédération paysanne, troisième syndicat agricole. "Cela ne changera en rien l'importation de quotas" de produits latino-américains, a-t-il déclaré, le 16 octobre, après avoir rencontré le conseiller agriculture du président de la République.

La Coordination rurale, deuxième syndicat agricole français, a critiqué des "seuils d'activation flous et difficiles à prouver", une "procédure lourde et centralisée à Bruxelles" avec une "portée juridique limitée". Elle estime aussi que les écarts de prix des produits à l'intérieur même de l'Union européenne "vident la clause de sa substance", l'amenant à réclamer le "rejet de l'accord (...) dans ces conditions".

Les syndicats agricoles ne sont pas les seuls opposés à ce texte. L'eurodéputée insoumise Manon Aubry a fait savoir que sa délégation au Parlement européen allait "déposer un recours devant la Cour de justice de l'UE pour vérifier la compatibilité de l'accord avec les traités européens". Cette démarche est également soutenue par l'eurodéputé centriste Pascal Canfin, qui a évoqué une initiative "transpartisane" sur franceinfo. Dans un entretien au magazine La France agricole, l'élu critique également d'autres mesures de protection en discussion comme les clauses miroirs, c'est-à-dire des mesures de réciprocité. Les promouvoir, comme le fait le gouvernement, revêt, selon lui, une "forme d'hypocrisie" car le Mercosur "comporte un mécanisme" qui les interdit.