Notre critique de Sing Sing : derrière les barreaux, les planches de la liberté
Un drame carcéral sans émeute ni règlement de comptes se finissant au couteau. C’est le petit miracle de Sing Sing, de Greg Kwedar, portrait d’un groupe de prisonniers passionnés de théâtre. Incarcéré dans le tristement célèbre pénitencier de Sing Sing, dans l’État de New York, établissement de haute sécurité, pour un crime qu’il n’a pas commis, Divine G est le pilier de l’atelier de théâtre par sa force directrice. Il surprend ici ses camarades en décidant d’admettre dans leur groupe un certain Divine Eye. Ce caïd, qui gère de la prison un lucratif trafic de drogue, a un tempérament bouillonnant. Il ne tarde d’ailleurs pas à contester l’autorité de Divine G en persuadant la troupe de jouer contre son avis une comédie musicale sans queue ni tête où il est question de voyage dans le temps, de momie, de gladiateurs, du Hamlet de Shakespeare.
Ce scénario improbable est pourtant basé sur des faits réels, y compris cette pièce farfelue baptisée Mummy’s Code. Le programme de Sing Sing est un de ceux qui prônent la réinsertion par l’expression artistique (RTA). « J’ai découvert ce dispositif par hasard. Il y a huit ans, je tournais un court-métrage dans une prison du Kansas qui permettait à ses détenus de s’occuper de chiens errants. J’ai été sidéré de trouver autant de beauté et de compassion derrière les barreaux. Cela m’a donné envie de me renseigner sur les autres initiatives de ce genre », racontait Greg Kwedar en septembre dernier au Festival de Deauville.
Un article d’Esquire le met sur la piste de Sing Sing et lui permet d’entrer en contact avec le professeur de l’atelier théâtre. Ils déjeunent avec d’anciens élèves libérés. Cette rencontre convainc le cinéaste d’être le plus authentique possible. Il rédige le scénario de Sing Sing - en lice pour l’Oscar de la meilleure adaptation, le 2 mars - avec son complice de toujours, Clint Bentley, et les vrais Divine G et Divine Eye, alias Clarence Maclin.
Oppression de l’incarcération
Ce dernier, sollicité pour jouer son propre rôle, est une sacrée révélation. « Quand il est entré dans la pièce, j’ai été frappé par l’intensité de sa présence et de son charisme », se souvient Greg Kwedar, qui a mis la main à la pâte et animé des ateliers RTA. Comme pour ses précédents films, les seconds rôles sont tenus par des acteurs non professionnels issus du milieu qu’il dépeint. Si Divine G échoit à Colman Domingo (La Couleur pourpre, Rustin), ses partenaires sont des ex-prisonniers qui ont accepté de renfiler leur uniforme et de tourner dans la prison désaffectée de Downstate. Une expérience cathartique pour les intéressés comme pour les spectateurs.
En résulte un long-métrage à fleur de peau flirtant avec le documentaire tout en laissant une grande part à l’improvisation, à l’humanité. La joie de renouer avec son imagination et ses émotions illumine les visages des prisonniers. L’oppression de l’incarcération surgit au détour d’une fenêtre grillagée dont s’échappe une brise qui laisse deviner l’Hudson tout proche. Les détenus s’étirent sur de longues files.
La prison est très efficace pour déshumaniser ceux qu’elle réduit à un numéro de matricule imprimé sur leur chemise. Avec ce film, j’aimerais que l’on reprenne conscience que ce sont des individus qui se cachent derrière nos barreaux
Greg Kwedar
Vétéran de Broadway qui récolte avec cette performance une seconde nomination aux Oscars dans la catégorie meilleur acteur, Colman Domingo est magnétique en homme recherchant dans le jeu toute la liberté dont il est privé. Au service des autres, il refuse d’écouter sa propre détresse et sa rage. Sa rencontre avec Divine Eye va le forcer à demander de l’aide.
« La prison est très efficace pour déshumaniser ceux qu’elle réduit à un numéro de matricule imprimé sur leur chemise. Avec ce film, j’aimerais que l’on reprenne conscience que ce sont des individus qui se cachent derrière nos barreaux, qu’on les regarde dans les yeux et entrevoie un autre avenir », plaide Greg Kwedar. Et de rappeler : le risque de récidive chez les prisonniers suivant un programme RTA est seulement de 3 % contre 60 % en moyenne pour les autres.
Notre avis : 3/4