Exploitation criminelle : 92% des enfants victimes sont des mineurs non accompagnés, alerte l’Unicef
92% des enfants victimes d’exploitations criminelles en France, identifiés par les associations, sont des mineurs non accompagnés, alerte le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) dans un rapport publié ce mercredi à l’occasion de la journée mondiale de la lutte contre la traite des êtres humains.
81% d’entre eux sont originaires d’Afrique, «plus particulièrement d’Algérie et du Maroc», et 19% d’Europe, «principalement de Roumanie et Bosnie-Herzégovine». Ce nombre provient des données de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof). Toutefois, alerte le rapport, ces chiffres «reposent exclusivement sur le nombre de mineurs repérés et accompagnés par les associations spécialisées». Ils ne peuvent donc refléter l’entièreté des profils.
Passer la publicitéPour comprendre les raisons de cette importante proportion, il convient de revenir à leur arrivée en France. Ces mineurs font alors face à «de nombreux obstacles» les plaçant, de fait, dans une situation pouvant les conduire à «être exploités» : «barrière linguistique, méconnaissance du système de protection et de leurs droits, difficultés d’accès à la protection de l’Aide sociale à l’enfance, à un titre de séjour une fois adulte, à une formation ou à un emploi».
Les «exploiteurs profitent de ce contexte» pour contraindre ces enfants à «travailler pour leur compte» : «remboursement de la dette liée au voyage, paiement d’une place dans un squat, protection accordée contre d’autres bandes rivales, remboursement de marchandise volée, paiement des démarches pour les documents administratifs...», abonde le rapport. Si les formes d’exploitation peuvent être diverses (prostitution, vol, drogue), «un nombre significatif de mineurs sont victimes de poly-exploitation».
Considérer les mineurs comme des victimes
Ce phénomène d’emprise sur ces enfants précarisés relève de «stratégies variées». Cependant, d’après les statistiques de la Miprof citées par l’UNICEF, 81% des victimes «contraintes à commettre des délits» sont exploitées par un membre de l’entourage et 16% par leur famille. Une emprise des proches qui rend d’autant plus compliqué «l’établissement d’une relation de confiance» avec les structures chargées de leur prise en charge. D’autant que «36% des victimes sont encore sous emprise et en situation d’exploitation lorsqu’elles entrent en contact avec les associations».
Plus généralement, rappelle le rapport de l’Unicef, 49,5 millions de personnes dans le monde sont considérées comme «victimes d’esclavage moderne», dont 28% d’enfants. «En France, plus des deux tiers des personnes concernées par l’exploitation criminelle auraient moins de 18 ans», selon la Miprof. Pour l’organisme onusien, «il est en contradiction avec le droit international que les enfants victimes d’exploitation criminelle fassent encore l’objet de poursuites et de sanctions pénales en France au lieu d’être considérés et pris en charge comme des victimes de traite des êtres humains».
La France, selon lui, devrait refondre son traitement réservé à ces mineurs en leur octroyant non seulement le statut de victime mais aussi en leur permettant de bénéficier d’une prise en charge. D’autant que le protocole de Palerme, parrainé par les Nations Unies et ratifié en 2002, «précise que la traite peut être caractérisée quand bien même la victime consentirait à son exploitation», dans certaines conditions.
Passer la publicitéLes solutions de l’UNICEF
L’Unicef appelle donc à reconsidérer le traitement de la traite humaine en France. D’abord en en mesurant l’étendue, grâce à un dispositif de croisement des données entre différentes institutions : justice, protection
de l’enfance, santé, immigration, éducation, forces de l’ordre. Celui-ci a été annoncé par le gouvernement le 11 décembre 2023 dans le cadre d’un plan national de lutte contre la traite. Mais les travaux lancés en ce sens n’ont pas encore abouti.
Ensuite, l’organisme des Nations Unies recommande pêle-mêle de «mettre en œuvre une politique publique [...] de lutte contre la pauvreté pour prévenir les situations d’exploitation» , «renforcer la sensibilisation des enfants aux risques liées à la traite des êtres humains» ou encore «d’assurer la prise en compte des situations de traite par les forces de l’ordre en garde à vue [...] pour éviter un nouveau traumatisme et une défiance des enfants vis-à-vis des institutions».
Enfin, pour les enfants coupables de crimes, mais victimes d’un réseau de traite, l’Unicef propose d’établir un principe de «non-poursuite» et de «non-sanction», appliqué en Belgique et au Royaume-Uni. En clair, les procureurs ne pourraient poursuivre un délinquant «lorsqu’une situation de traite est constatée ou fortement suspectée comme cause directe de l’infraction commise».
Le casier judiciaire serait également effacé et l’enfant placé et pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) via un dispositif spécifiquement conçu pour lui. L’Unicef, pour conclure, assure qu’il «conviendrait donc de faciliter l’obtention du titre de séjour des personnes victimes de traite des êtres humains sans obligation de coopération avec les services de police et de gendarmerie». Au risque de séparer un mineur, déjà abîmé par la traite d’êtres humains, de ses parents demeurés à l’étranger.