Quand la voiture électrique coûtera très cher

Gérard Le Puill

Les firmes de l’industrie automobile prévoient d’importantes suppressions d’emplois en Europe dans le cadre de la conversion à la voiture équipée d’un moteur électrique ou hybride. Mais il n’est jamais question du bilan carbone des ouvertures d’usines dans les pays à bas coûts de main d’œuvre pendant que l’on en ferme d’autres en qu’en bon état de marche chez nous.

Dans notre précédent article consacré à la voiture électrique, nous citions quelques informations sur les délocalisations de productions. Dans le quotidien Les Échos du 26 décembre 2024, l’éditorialiste David Barroux faisait état de la colère de la vice-première ministre suédoise « qui n’en peut plus de voir le prix de l’électron flamber dans son pays et n’a ainsi pas hésité à pointer du doigt la responsabilité de l’Allemagne, accusée d’avoir déstabilisé notre marché de l’énergie en basculant trop vite dans l’éolien et le solaire et en sortant trop rapidement du nucléaire ».

Pour expliquer cette colère, David Barroux rappelait que le marché européen de l’électricité « est devenu à la fois plus international, plus interconnecté et plus dépendant des sources renouvelables dont la part dans notre consommation d’énergie brute est passée de 10% en 2005 à autour de 25% à l’échelle européenne (…). Notre mix énergétique étant devenu bien plus intermittent, les prix sont également plus volatils (…) L’Allemagne, qui peut ainsi se donner une bonne image en basculant vers les renouvelables, ne peut ainsi le faire que parce que la France va investir dans un nucléaire indispensable pour des Allemands qui peuvent mépriser l’atome mais non s’en passer ».


L’électricité produite n’est pas stockable

On peut tout à fait partager ce constat. L’électricité produite n’est toujours pas stockable en ce premier quart du XXIème siècle. Dans les pays membres de l’Union européenne, les jours de vent et de soleil font croître la part d’électricité produite par les éoliennes et le photovoltaïque. De ce fait, dès que l’offre d’électricité dépasse la demande, les prix de vente couvrent rarement les coûts de production. Inversement, quand l’offre est insuffisante pour répondre à la demande, la spéculation à la hausse est payée par les utilisateurs. Ce qui nous vaut cette conclusion dans l’éditorial de David Barroux: « Le système actuel fonctionne mal. En ne parvenant pas à s’en occuper sérieusement, l’Europe de l’énergie devient cacophonique et prend le risque qu’un jour, par égoïsme et populisme, certains cherchent à s’affranchir de règles mal pensées et provoquent de ce fait un court circuit ».

Dans le pays membres de l’Union européenne, suppression des voitures neuves à moteur thermique en 2035 a été décidée sur proposition de la Commission européenne, présidée par Ursula Von der Leyen, ancienne ministre de droite en Allemagne. Elle nous est présentée comme un engagement volontariste et sérieux pour que l’Europe atteigne la neutralité carbone en 2050. Mais la Commission prétend atteindre cet objectif sans chercher à réduire la circulation routière dans les pays membres de l’Union européenne. Pire encore, l’ouverture du trafic ferroviaire aux entreprises privées qui se tournent vers les lignes les plus rentables fait reculer l’efficacité du rail et augmente son bilan carbone par voyageur et par tonne de marchandise dans un pays comme la France.


Les métaux rares vont vite se raréfier

Il est enfin un sujet qui n’est guère abordé à propos de la conversion aux véhicules électriques en Europe et dans le monde. Cela concerne la consommation des matières premières indispensables pour construire ces véhicules et leurs grosses batteries. Dans un livre paru en septembre 2023 (1), Guillaume Pitron, journaliste et spécialiste de la géopolitique des matières premières, écrivait à ce propos : « Soutenir le changement de notre modèle énergétique exige déjà un doublement de la production de métaux rares tous les quinze ans environ. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous devrions extraire, au cours des trente prochaines années, davantage de minerais que l’humanité a prélevé depuis soixante dix mille ans (…) Les prospectives de l’Agence internationale de l’énergie indiquent qu’à l’horizon 2040, la demande de terres rares pourrait être multipliée par 7, celle du nickel par 19, celle du graphite par 25, celle du lithium par 42, par rapport aux besoins de l’année 2020 » .

Concernant le cuivre dont les véhicules électriques sont de gros consommateurs, une étude du Forum international de l’énergie prévoit que le monde aura besoin en 2050 de 115% de cuivre de plus qu’il n’en a jamais produit avant 2018. Les projections indiquent qu’il faudrait une augmentation de 82% de la production annuelle d’ici 2050, ce qui implique d’ouvrir beaucoup de nouvelles mines dans les pays qui disposent encore de réserves. Car, outre les voitures électriques et hybrides, les trottinettes, les vélos électriques et les outils de communication consomment aussi beaucoup de métaux rares. Actuellement, les cinq pays les plus producteurs de cuivre sont le Chili (23%), le Pérou (10%), l’Australie (10%), la Russie (7%) et le Mexique (6%). Ils produisent 56% du cuivre dans le monde, tandis que la Chine exploite surtout les mines de la République Démocratique du Congo. Les pays membres de l’Union européenne sont surtout de gros importateurs.


Il reste à voir comment évolueront les prix de ces matières premières ainsi que le prix de vente des voitures électriques dans les 27 pays membres de l’Union européenne d’ici 2050, année retenue par la Commission européenne pour attendre la neutralité carbone.


La guerre des métaux rares de Guillaume Pitron, éditions poche, Les liens qui libèrent, 348 pages, 9,90€