Un indigène à la tête de la Cour suprême : pourquoi l’élection judiciaire est un succès pour la gauche mexicaine ?
Avec environ 13 millions de personnes ayant pris part au scrutin, pas de doute, pour la présidente Claudia Sheinbaum : la première élection du pouvoir judiciaire de l’histoire du Mexique « a été un succès total ». Et peu importe si à peine plus d’un électeur sur dix s’est déplacé (l’Institut national électoral, INE, a estimé le taux de participation aux alentours de 13 %), ce dimanche 1er juin, pour une élection unique au monde qui permettait d’élire tous les juges du système judiciaire fédéral, jusqu’à la Cour suprême. Pour la première femme cheffe d’État du Mexique, ce scrutin, fruit d’une réforme promue par l’ancien président Andrés Manuel López Obrador (AMLO, 2018-2024) et défendue par sa successeure, va enfin permettre de tourner la page d’un système gangrené par la corruption en instaurant « un véritable État de droit, où personne, pas même le plus puissant, n’est au-dessus de la loi » (lire notre reportage à Mexico).
Preuve qu’une nouvelle « ère judiciaire » s’ouvre dans la seconde puissance économique latino-américaine ? L’INE, qui doit publier tous les résultats nationaux dans une semaine (881 postes étaient en jeu au niveau fédéral), a déjà confirmé ceux concernant le joyau de la couronne : la Cour suprême de justice de la nation (SCJN).
Un indigène mixtèque présidera la Cour suprême
Et les résultats sont à la hauteur des espérances pour une gauche déjà en force au Congrès : six des neuf futurs magistrats qui composeront la plus haute juridiction ont une affinité affichée avec le projet de « Quatrième Transformation » (4T) du pays initié par AMLO. Un résultat logique dû tant au soutien populaire dont jouit la présidente Sheinbaum (taux d’approbation de 80 %) qu’à la stratégie de boycott encouragée par une grande partie du bloc conservateur.
Comme si cela n’était pas suffisant, le bloc conservateur a aussi subi un revers symbolique très puissant avec l’arrivée d’un indigène à la tête de la Cour suprême, une première depuis le XIXe siècle dans un pays où le racisme reste extrêmement présent. Issu de la communauté mixtèque et proche du parti au pouvoir sans y être encarté, Hugo Aguilar, expert en droit constitutionnel et ancien fonctionnaire à l’Institut national des peuples autochtones, avait fait campagne sur les réseaux sociaux en interpellant ses « frères et sœurs des communautés indigènes, du peuple des Afrodescendants (et) des secteurs sociaux traditionnellement exclus » pour dénoncer « le déni, l’exclusion et l’abandon » des indigènes au Mexique.
Avec plus de 6 millions de voix obtenues, son élection a un goût de revanche et symbolise le changement radical au sein d’un pouvoir judiciaire traditionnellement monopolisé par une élite cultivant l’entre-soi. Et de trophée pour une gauche qui plaide pour la lutte contre les discriminations subies par les communautés indigènes.
« Un homme très intelligent et doté d’une sensibilité sociale »
« Je suis très heureuse que le prochain président de la Cour suprême soit un indigène mixtèque du Oaxaca, (et de surcroît) un très bon avocat. J’ai le privilège de le connaître (…), c’est un homme très intelligent et doté d’une sensibilité sociale », a commenté la présidente Sheinbaum lors de son habituelle conférence de presse matinale.
Hugo Aguilar suivra-t-il le parcours de Benito Juárez, Zapotèque du Oaxaca et unique dirigeant indigène de premier plan de l’histoire du pays qui était parvenu à la présidence, entre 1858 et 1872, après avoir présidé la Cour suprême pendant un an ? D’aucuns voient déjà cet ancien conseiller de la guérilla zapatiste au Chiapas marcher sur les traces de Juárez, un des modèles de l’ex-président AMLO ; d’ici-là, Hugo Aguilar prendra ses fonctions à la SCJN le 1er septembre 2025 pour remplacer Norma Piña, fervente adversaire de la 4T.
Reste à voir de quelle façon sera menée la transition. « Il faut espérer, exprimait dans un récent éditorial le quotidien de gauche La Jornada, que le bloc de droite dirigé (au sein de l’institution) par la ministre présidente Norma Piña acceptera sa défaite historique et aura le courage de cesser les énormes dégâts qu’il a infligés au Mexique : sabotage du développement économique, mise en avant des intérêts des entreprises au-dessus du bien commun, protection des fraudeurs fiscaux, libération des criminels armés ou en col blanc et, en général, blocage de la justice en favorisant l’impunité ».
Des leçons à tirer pour 2027
À n’en pas douter, la régénération du système judiciaire prendra du temps ; la présidente Sheinbaum reste toutefois confiante et compte bien tirer les conclusions de ce premier essai – notamment critiqué pour sa complexité – pour améliorer le prochain scrutin qui devra se tenir dans deux ans (pour élire la seconde moitié des juges fédéraux).
« Tout est perfectible ; il s’agit de la première élection (de ce type) ; des conclusions seront tirées pour 2027 », a-t-elle exprimé, renvoyant dans les cordes l’opposition de droite qui n’a pu trouver un soulagement que dans les déclarations de l’organisme doté de moins de légitimité – aux yeux de la gauche latino-américaine – en matière de respect de la démocratie : l’Organisation des États américains.
Évoquant un processus électoral « énormément complexe et polarisant » avec de nombreux « vides », la mission d’observation de l’organisme – perçu à gauche comme un instrument au service des intérêts étasuniens – a recommandé dans un rapport diffusé vendredi dernier de « (ne pas) répéter ce modèle de sélection des juges dans d’autres pays de la région ». La preuve que le Mexique va dans la bonne direction ?