On vous résume les principales conclusions de la commission d'enquête sur le dérapage budgétaire de la France

Qui est responsable du dérapage des finances publiques de la France, dont le déficit a atteint 5,8% du PIB en 2024 ? La commission d'enquête parlementaire menée à l'Assemblée nationale a rendu ses conclusions, mardi 15 avril, après plusieurs mois de travaux. Selon les deux rapporteurs – Eric Ciotti (Union des droites pour la République) et Mathieu Lefèvre (Ensemble pour la République) –, les écarts entre les prévisions du gouvernement et le déficit public en 2023 et 2024 sont en grande partie dus à des "raisons techniques".

Dans son rapport, mis en ligne sur le site de l'Assemblée nationale, la commission d'enquête parlementaire évoque des recettes fiscales plus faibles qu'espérées par l'administration ces deux années-là. Mais ce dérapage du déficit n'est "pas exceptionnel comparé aux périodes antérieures et aux autres pays", écrivent aussi les rapporteurs, issus de deux camps politiques opposés, qui affichent par ailleurs leurs désaccords sur la responsabilité des gouvernements d'Elisabeth Borne et de Gabriel Attal.

Les recettes fiscales ont été surestimées

Pour la commission d'enquête, le dérapage des finances publiques en 2023 et 2024 s'explique par "un niveau de recettes des prélèvements obligatoires inférieur à celui qui avait été anticipé". Le manque à gagner atteint 20,7 milliards d'euros en 2023 et 40,1 milliards d'euros en 2024. Mais la différence entre les prévisions du gouvernement et le déficit public ne s'explique pas seulement par des recettes fiscales plus faibles qu'attendues (notamment sur la TVA et l'impôt sur les sociétés).

Le rapport conclut que le gouvernement a surestimé les recettes de la taxation temporaire sur les marges des producteurs d'électricité, dont le prix a explosé entre 2022 et 2024. Les rapporteurs ont aussi constaté "un niveau de dépenses supérieur à la prévision en ce qui concerne les collectivités territoriales (+4,3 milliards d'euros) et les administrations de sécurité sociale (+1,1 milliard d'euros)". Et la croissance poussive en 2024 explique également ce dérapage budgétaire.

Pour Eric Ciotti (qui est allié au Rassemblement national) et Mathieu Lefèvre (qui appartient au camp présidentiel), l'écart entre les prévisions de l'exécutif et le déficit public n'est "pas sans précédent si on les compare aux difficultés de prévision rencontrées lors des exercices précédents ou dans des pays similaires". Ils citent notamment l'exemple du Royaume-Uni, où le déficit a été surestimé, et l'Allemagne, un pays en récession où les prévisions de croissance ont été surévaluées.

Les calculs ont été faussés par l'enchaînement des crises

Le rapport de la commission d'enquête juge que ces écarts de prévisions résultent en grande partie de "raisons techniques" un dérèglement des modèles dans un contexte de crises répétées "et dans une moindre mesure de raisons tenant aux comportements des administrations chargées de la prévision". La crise énergétique et l'inflation "sont venues s'ajouter à un environnement macroéconomique encore perturbé par les suites de la crise du Covid-19", note le rapport. Personne n'avait ainsi anticipé la hausse des prix de l'électricité.

Mais pour les rapporteurs, le "dérèglement des modèles" de prévisions de Bercy n'est pas la seule raison qui explique ce dérapage budgétaire. Des "biais" dans l'élaboration de certaines "prévisions de moyen terme" sont aussi évoqués, avec des prévisions "parfois trop volontaristes". Le gouvernement se montre généralement plus optimiste que les économistes ou les organismes telles que la Banque de France ou l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), notent les députés.

Les rapporteurs s'opposent sur la responsabilité politique

Le gouvernement a-t-il une responsabilité dans ces écarts de prévisions ? Les avis d'Eric Ciotti et Mathieu Lefèvre divergent. Pour le député des Alpes-Maritimes, qui s'est rallié à Marine Le Pen lors des législatives anticipées, le gouvernement "a volontairement dissimulé" certaines informations "qui auraient permis au Parlement et à la Cour des comptes de prendre conscience de la gravité de la situation des comptes publics entre début décembre 2023 et la mi-avril 2024".

Si le gouvernement "a tardé à rendre publiques certaines informations, ce retard s'inscrit dans un contexte plus général d'incertitude", tempère de son côté le député macroniste du Val-de-Marne, pour qui le gouvernement a pris des mesures pour enrayer le dérapage budgétaire. Pour Eric Ciotti, en revanche, l'exécutif a trop tardé et a réagi trop timidement.

La commission suggère d'en tirer des leçons

Le rapport de la commission d'enquête formule vingt-six recommandations. Il suggère par exemple d'améliorer les méthodes de prévisions et de renforcer les prérogatives du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), consulté pour donner son avis sur les prévisions. Cet organisme indépendant, placé sous la tutelle de la Cour des comptes, devrait aussi pouvoir demander des informations aux administrations, même en l'absence de saisine, conclut le rapport.

La commission suggère que les présidents des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat puissent accéder à certaines notes de l'administration adressées aux ministres et portant sur les prévisions macroéconomiques. Cela fait écho à une note du Trésor public qui a été au cœur des débats de la commission : certains députés ont accusé le gouvernement de ne pas avoir révélé ce document en plein débat budgétaire en décembre 2023, ce que d'anciens ministres ont réfuté devant la commission.

Le rapport de la commission d'enquête recommande aussi d'"engager une réflexion visant à mieux articuler les calendriers administratifs et parlementaires afin de renforcer la transparence sur la situation des finances publiques". Il propose aussi de "prévoir systématiquement dans la loi de finances de l'année que l'intégralité des éventuels surplus de recettes fiscales seront utilisés pour la réduction du déficit, et non pour le financement de nouvelles dépenses".