Contradictions, reniements... Les cinq volte-faces les plus spectaculaires de la crise politique

Il fallait bien un fidèle pour porter le poids du reniement. Pressé par les exigences socialistes, Sébastien Lecornu a fini par débrancher mardi l’emblématique réforme des retraites - la seule structurelle du second mandat d’Emmanuel Macron. Une «suspension» tranchée plus tôt à l’Élysée, lors d’un rendez-vous matinal entre le premier ministre et le président. Voilà le grand chantier social du chef de l’État, dont il avait fait un marqueur, mis sur pause jusqu’à l’élection présidentielle de 2027.

Une rupture majeure pour Emmanuel Macron, qui a toujours veillé à préserver son bilan économique. Il y a quelques semaines encore, Sébastien Lecornu refusait lui aussi de faire machine arrière sur la réforme Borne, qui a repoussé l’âge de départ à la retraite à 64 ans. Une volte-face qui vient allonger la liste de contradictions nées de dix jours de crise politique.

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Quand un chef de parti appelle à la non-participation à un gouvernement, quelques jours après y avoir été nommé

Il a suffi d’un court message pour faire imploser en plein vol l’équipe tout juste constituée. Ulcéré par le retour surprise de Bruno Le Maire aux Armées, dont il n’était visiblement pas dans la confidence, Bruno Retailleau dénonce, le 5 octobre, un gouvernement qui ne «reflète pas la rupture promise» avec le macronisme. Le patron de la droite vient pourtant d’être reconduit sans surprise à Beauvau, où il jouit d’une popularité nouvelle depuis plus d’un an.

Le lendemain, Sébastien Lecornu coupe court au psychodrame et remet sa démission au chef de l’État. Bruno Retailleau, pour lequel la confiance a été rompue, fait très vite savoir qu’il ne compte plus rempiler à son poste. Un revirement pour l’ancien sénateur, qui défendait jusqu’à présent la présence de ministres LR depuis la nomination de Michel Barnier. Le voilà donc sur la ligne de son éternel rival Laurent Wauquiez, qui s’est toujours opposé à une participation de la droite au gouvernement.

La reconduction du premier ministre sortant à Matignon finit d’enfoncer le clou. Le bureau politique de LR, convoqué en urgence le 10 octobre, acte un soutien sans participation à l’équipe «Lecornu 2» - même si, la veille, les députés ont voté pour la position inverse lors d’un scrutin interne. Six d’entre eux - dont l’ex-vice présidente de la formation, Annie Genevard - décident malgré tout de braver la consigne en montant à bord du nouveau gouvernement. «Les membres LR qui ont accepté d’entrer au gouvernement ne peuvent plus se réclamer de LR», réplique aussitôt Bruno Retailleau, le 12 octobre.

Quand celle qui a porté la réforme des retraites propose sa suspension

C’est peu dire que la volte-face a surpris plus d’un macroniste. Pendant que Sébastien Lecornu poursuit ses «ultimes négociations»Élisabeth Borne fait, la première, un pas de géant vers une suspension de la réforme des retraites. «Il faut savoir bouger, écouter et bouger», explique celle qui est encore ministre démissionnaire de l’Éducation nationale dans un entretien au Parisien, paru le 7 octobre.

La voilà donc prête à sacrifier le texte qu’elle a elle-même porté et fait adopter dans la douleur au printemps 2023. Peu importe si cette réforme impopulaire lui a valu en partie le surnom de «Madame 49.3», elle qui avait choisi de passer en force en recourant à cet outil constitutionnel. L’ex-première ministre assume de rouvrir ce dossier explosif au nom de «la stabilité du pays», justifie-t-elle. Un revirement personnel et non concerté avec l’Élysée, assure alors l’entourage présidentiel.

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Mais il n’en fallait pas plus pour replonger le camp macroniste dans le psychodrame des retraites. «On aurait pu en parler non ? (...) Le risque, c’est que maintenant le PS demande l’abrogation pure et simple», interpelle Prisca Thevenot, proche de Gabriel Attal, sur la boucle Telegram des députés, comme révélé par Le Figaro. «Détricoter nous-mêmes l’une de nos réformes structurelles les plus emblématiques est absurde», abonde Constance Le Grip, ex des Républicains passée dans le camp Macron en 2022.

Des tiraillements internes qui ne les ont pourtant pas empêchés, une semaine plus tard, d’applaudir la suspension annoncée par Sébastien Lecornu. Quand Élisabeth Borne a, elle, été évincée du ministère de l’Éducation nationale, remplacée par Édouard Geffray dans la nouvelle équipe gouvernementale.

Quand la porte-parole du gouvernement trouvait «dramatique» la suspension de la réforme des retraites

Elle aussi a bondi en découvrant le revirement d’Élisabeth Borne. «Est-ce à nous de dilapider notre propre héritage ? (...) Est-ce à nous de pousser à l’annulation de la seule réforme structurelle que nous avons portée devant les électeurs en 2022 ?», s’interroge, le 7 octobre, Maud Bregeon sur le groupe des députés macronistes. Puis de prévenir : «La suspension n’existe pas. Réouvrir le débat en hémicycle aboutira à l’abrogation.» 

Sur le plateau de TF1, celle qui n’est encore que simple députée se prononce une nouvelle fois haut et fort contre cette concession : «La suspension serait une décision absolument dramatique (...) La situation budgétaire et démographique n’ayant pas changé, je ne change pas d’avis », indique-t-elle, le 9 octobre. Sauf que trois jours plus tard, la voilà nommée... porte-parole du gouvernement. Un gouvernement dont le premier geste a justement été de suspendre la réforme des retraites.

Quand un ancien premier ministre d’Emmanuel Macron l’appelle à planifier sa démission

Le tir est parti de l’intérieur. Sébastien Lecornu n’a pas encore achevé les négociations de la dernière chance qu’un de ses prédécesseurs vient déjà de lever un tabou suprême. Invité le 7 octobre sur RTL, Édouard Philippe appelle pour la première fois le chef de l’État à organiser une élection présidentielle anticipée. Autrement dit, à démissionner, «une fois le budget adopté», détaille-t-il dans un entretien au Figaro.

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C’est donc sur les épaules d’Emmanuel Macron que repose le dénouement de la crise, laisse entendre son premier chef de gouvernement. Quitte à accréditer, dans des modalités certes différentes, la thèse d’un départ prématuré qui a cheminé des rangs insoumis jusqu’à certains ténors de la droite. Peu importe, le fondateur d’Horizons et candidat déjà déclaré acte par là une rupture sans retour avec le président, dont il n’a cessé de s’éloigner depuis qu’il a quitté Matignon.

La veille déjà, c’est un autre ancien premier ministre, Gabriel Attal, qui a poursuivi plus franchement sa prise de distance avec Emmanuel Macron. «Comme beaucoup de Français, je ne comprends plus les décisions du président de la République», a lâché le patron du parti présidentiel aux «20 heures» de TF1, quelques heures après la démission surprise de Sébastien Lecornu. Jusqu’à accuser le président, qui l’a fait émerger politiquement, de manifester «une forme d’acharnement à vouloir garder la main».

Quand un premier ministre acte la fin de sa «mission» à Matignon, avant d’y être renommé le surlendemain

Ce soir-là, Sébastien Lecornu rend les conclusions des dernières quarante-huit heures qu’il a passées, sur demande de l’Élysée, à mener d’ultimes négociations avec les forces politiques. L’opération de la dernière chance doit être le point final de son aventure à Matignon, après sa démission surprise deux jours plus tôt. «Je ne cours pas après le job», prévient-il, le 8 octobre, au JT de «20 heures» de France 2.

«Je considère que ma mission est terminée», poursuit-il, affirmant avoir «tout essayé» pour sortir de l’impasse. Le Normand renvoie même les décisions délicates - comme celle sur les retraites - à son successeur qui sera nommé, assure-t-il, d’ici deux jours. «L’équipe qui devra prendre les responsabilités, quelle qu’elle soit, devra être complètement déconnectée des ambitions présidentielles pour 2027», lâche-t-il comme un conseil.

Désormais seul face à la crise, Emmanuel Macron convie, le 10 octobre, les patrons de partis - hors LFI et RN - à l’Élysée pour prolonger les tractations entamées par son fidèle. La gauche espère encore, sans trop y croire, voir l’un des siens accéder à Matignon. Au terme d’une journée dantesque, le chef de l’État finit par officialiser, tard dans la soirée, la reconduction de Sébastien Lecornu. Une nouvelle mission acceptée «par devoir», assure au même moment le premier ministre sur X.