François Bayrou préoccupé par son avenir politique après la condamnation de Marine Le Pen
Toujours sous la menace d’une motion de censure, François Bayrou, qui tente d'assurer son avenir politique personnel, multiplie, depuis l’annonce de la condamnation de Marine Le Pen, les signaux favorables au parti d’extrême droite.
Le Premier ministre a annoncé, mercredi 2 avril, un futur débat sans vote au Parlement sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). "Il est normal que le Parlement s’exprime sur un sujet aussi important", a-t-il affirmé au Figaro, alors que la PPE devait être adoptée par décret dans les prochains jours.
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Une annonce qui intervient alors que la cheffe de file des députés du Rassemblement national (RN) avait de nouveau menacé le Premier ministre de censure, la veille, dans une interview donnée au Parisien et dans laquelle elle s’en prenait à la PPE, estimant qu’il n’était "pas question que ça passe par décret".
"Le risque pour François Bayrou après la condamnation de Marine Le Pen, c’est que le Rassemblement national décide d’entrer dans une sorte de guérilla à l’Assemblée nationale, avec en bout de course une motion de censure. Le Premier ministre sait qu’il est soumis au même risque que son prédécesseur Michel Barnier. Il entend donc prévenir ce risque", note le politologue Olivier Rouquan, chercheur associé au Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques (Cersa).
François Bayrou "troublé par l’énoncé du jugement"
Mais ce sont surtout ses positions vis-à-vis de la décision du tribunal de Paris de condamner Marine Le Pen à 5 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire qui ont semblé marquer une volonté d’apaiser le RN, tout en suscitant l’incompréhension parmi ses troupes.
Le Premier ministre s’est ainsi dit lundi "troublé par l’énoncé du jugement", selon une information du Parisien, avant de poursuivre sur cette ligne le lendemain matin, déclarant que "la France est le seul pays où on fait ça" devant des parlementaires du "socle commun" (élus des partis Renaissance, MoDem, Horizons et Les Républicains).
Une affirmation contredite quelques heures plus tard par l’un de ses proches, le député MoDem Erwan Balanant, qui souligne au micro de TF1 que "la France n’est pas le seul pays à avoir des inéligibilités" et qu’il n’était pour sa part "pas troublé" par la condamnation de Marine Le Pen.
D’autres élus MoDem ont également pris leurs distances avec François Bayrou sur ce sujet, tout comme le reste du "socle commun". Ancienne porte-parole du gouvernement de Gabriel Attal, la députée Renaissance Prisca Thévenot s’est notamment interrogée devant les journalistes : "À partir de combien dans les sondages on estime qu’on est au-dessus des lois ?"
"Le niveau d’exigence du personnel politique a baissé"
François Bayrou est même allé plus loin lors des questions au gouvernement mardi après-midi. "Il y a des interrogations sur l'exécution provisoire d’une peine", a-t-il déclaré. "En principe de droit, toute décision pénale lourde de conséquences devrait être susceptible d’appel", a ajouté le Premier ministre, considérant que "la réflexion doit être conduite" par les parlementaires à propos d’une éventuelle révision de la loi sur l'exécution provisoire.
Le chef du gouvernement a assuré s’exprimer "en tant que citoyen". Un citoyen qui, en plus d’être Premier ministre, est aussi le chef d’un parti, le MoDem, condamné en février 2024 pour détournement de fonds publics pour avoir, comme le Rassemblement national, utilisé l’argent du Parlement européen pour rémunérer des assistants parlementaires qui travaillaient en réalité pour le MoDem. Et si François Bayrou a quant à lui été relaxé en première instance, le parquet de Paris, qui avait requis contre lui 30 mois de prison avec sursis et 3 ans d’inéligibilité avec sursis, a fait appel du jugement dans la foulée. François Bayrou est donc en attente d’un second procès qui pourrait lui valoir une peine d’inéligibilité.
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"On se souvient d’une période où les acteurs politiques affirmaient qu’un ministre mis en examen devait démissionner, nous avons aussi eu des lois qui ont durci le non-cumul des mandats et les sanctions en cas de corruption ou de détournement de fonds publics. Il y a aujourd’hui un recul ou une volonté de reculer sur ces questions, avec un Premier ministre susceptible d’être condamné en appel et qui est en mesure de pousser un texte qui pourrait avoir un impact sur sa propre trajectoire politique. On ne peut que constater que le niveau d’exigence du personnel politique a baissé progressivement au cours des deux mandats d’Emmanuel Macron", souligne Olivier Rouquan.
L’élection du président de la République en 2017 s’était pourtant faite après une campagne marquée par les questions de probité en raison des affaires Fillon. François Bayrou lui-même, qui avait pris position contre l’immunité présidentielle ou contre la Cour de justice de la République (CJR), avait conditionné son soutien à Emmanuel Macron à la promesse d’une grande loi sur la moralisation de la vie publique. Loi dont il aura la charge une fois nommé garde des Sceaux en mai 2017 et qu’il aura tout juste le temps de faire passer avant de devoir démissionner en raison de sa mise en examen dans l’affaire des assistants parlementaires du MoDem au Parlement européen. Huit ans plus tard, François Bayrou ne ferme pas la porte à une modification de la loi sur l’inéligibilité.