Visualisez à quel point les traversées de migrants dans la Manche ont explosé cette année
Près de 17 300 personnes ont traversé la Manche depuis le début de l'année à bord de "small boats", ces embarcations de fortune mises à l'eau depuis les côtes des Hauts-de-France. Ce bilan, établi au 18 juin par les autorités britanniques, montre que l'année 2025 s'oriente vers un nouveau record de traversées entre la France et le Royaume-Uni. Depuis janvier, 102 personnes en moyenne empruntent chaque jour cette route migratoire, malgré les dangers et le renforcement des contrôles policiers, selon les données du ministère de la Défense britannique. En 2022, l'année qui a compté le plus de traversées, environ 11 700 passages avaient eu lieu à la mi-juin, soit environ 5 500 de moins qu'en 2025 à la même période (voir le graphique qui suit).
Plusieurs facteurs permettent d'expliquer ces chiffres inédits. La météo clémente, d'abord, "est souvent synonyme d'une augmentation des tentatives de traversées", rappelle à franceinfo la préfecture maritime (Prémar) de la Manche et de la mer du Nord. Surtout, les autres points historiques de passage clandestin vers le Royaume-Uni, comme les ferries et le tunnel sous la Manche, restent extrêmement surveillés, poussant les migrants à privilégier les traversées en canot.
Enfin, la situation très difficile en Afghanistan depuis le retour des talibans au pouvoir en 2021, la répression et maintenant le conflit en Iran, en Syrie, en Erythrée ou encore la guerre civile qui fait rage au Soudan continuent de pousser chaque mois des milliers de personnes sur la route de l'exil. Ces nationalités sont les plus représentées parmi les migrants présents dans le nord de la France, attestent les associations humanitaires locales que franceinfo a pu contacter.
La majorité des personnes qui tentent la traversée sont des hommes majeurs. Une fois arrivés au Royaume-Uni, 95% d'entre eux déposent une demande d'asile. D'après l'Observatoire des migrations de l'université d'Oxford, les migrants arrivés par la Manche ont même plus de chances d'obtenir une protection que les autres : entre 2018 et 2024, 68% des demandeurs d'asile arrivés par bateau ont vu leur demande acceptée, contre 57% pour l'ensemble des arrivées, tous modes confondus. L'institut précise également qu'entre 30 et 40% de toutes les demandes d'asile déposées au Royaume-Uni proviennent de personnes ayant traversé la Manche à bord de "small boats".
Des opérations d'assistance et de sauvetage quasi quotidiennes
"Ce secteur maritime est une des zones les plus fréquentées au monde, avec plus de 600 navires de commerce qui y transitent par jour, et les conditions météorologiques y sont souvent difficiles", rappelle systématiquement la Prémar dans ses communiqués relatifs aux opérations de secours.
Ces mises en garde ne freinent pourtant pas les traversées, et les interventions de sauvetage sont très fréquentes. Selon les données de la Prémar analysées par franceinfo, depuis 2020, les garde-côtes sont mobilisés au moins une fois tous les trois jours pour secourir une ou plusieurs embarcations en détresse dans la Manche. Ces opérations prennent des formes variées : il peut s'agir de venir en aide à des migrants naufragés dont l'embarcation a chaviré, ou simplement d'escorter un "small boat" jusqu'aux eaux britanniques, tout en surveillant sa progression en raison de sa fragilité.
Ces dernières semaines ont été particulièrement intenses, avec de nombreuses soirées marquées par des opérations multiples. Dans la nuit du 12 au 13 juin, par exemple, la Prémar a déclaré cinq opérations de sauvetages d'embarcations de migrants, dont le sauvetage d'une embarcation sans moteur à la dérive, une autre en train de couler au large de Dunkerque, et une troisième ayant formulé une demande d'assistance au large d'Audresselles. Au total, 99 migrants ont été secourus.
Si les opérations de sauvetage et d'assistance menées sous la supervision de la préfecture maritime restent le seul mode d'intervention autorisé aux autorités françaises en mer, le ministère de l'Intérieur envisage de modifier ses règles afin d'autoriser l'interception des embarcations en mer et d'empêcher les migrants d'atteindre les côtes britanniques. "Nous sommes conscients du fort enjeu que représentent les interventions en mer et d'une nécessaire adaptation de notre doctrine d'action", a déclaré mercredi le cabinet de Bruno Retailleau, interrogé par l'AFP.
Des contrôles largement renforcés
Cette volonté de changer de doctrine intervient quelques semaines après un débarquement record de 1 194 migrants au Royaume-Uni, le 31 mai, et vise à répondre aux fortes pressions exercées par Londres, qui verse chaque année en moyenne 180 millions d'euros pour financer les opérations de police sur la côte nord de la France, afin de réduire l'immigration illégale sur son territoire.
Pour tenter d'enrayer les traversées, la France a considérablement durci son dispositif ces dernières années : 1 200 policiers et gendarmes sont mobilisés chaque jour sur les 150 km de littoral entre Dunkerque et Le Touquet (dont 730 sont d'ailleurs financés par le Royaume-Uni, comme l'expliquait le ministre de l'Intérieur fin février). Les plages sont surveillées en continu, les embarcations confisquées, et les campements régulièrement démantelés.
L'association Human Rights Observers, qui documente ces évacuations, rapporte des expulsions de migrants tous les deux jours dans des campements temporaires autour de Calais. Selon cette ONG et d'autres associations interrogées par franceinfo, ces pratiques "contribuent à rendre le passage plus dangereux" car elles fragilisent les populations migrantes.
Une traversée toujours plus dangereuse
"Les contrôles ne diminuent pas le nombre de personnes qui veulent traverser, mais ils augmentent les risques, puisqu'il y a moins de bateaux disponibles qu'avant, donc ceux qui partent sont plus chargés", explique Arthur Dos Santos, coordinateur à Calais de l'association Utopia 56, qui vient en aide aux migrants.
D'après les données du ministère de la Défense britannique, en 2025, il y a en moyenne 55 personnes par embarcation, contre 52 l'an dernier, mais, surtout, seulement 13 en 2020.
Cette densité à bord accroît considérablement le risque de naufrage et de mort. Depuis janvier, 17 personnes ont perdu la vie lors de la traversée. En 2024, 78 morts avaient été enregistrées, le chiffre le plus élévé depuis le début de ces migrations par "small boats" entre la France et le Royaume-Uni.