Affrontements meurtriers, civils touchés, tensions à la frontière : que se passe-t-il entre le Cambodge et la Thaïlande ?
Une nouvelle flambée de violence inquiète en Asie du Sud-Est. La Thaïlande a mené jeudi 24 juillet des frappes contre des cibles militaires cambodgiennes tandis que Phnom Penh a lancé contre son voisin des tirs d'artillerie et de roquettes, dans des affrontements frontaliers d'une rare intensité. Selon le ministère de la Santé thaïlandais, au moins 12 personnes, parmi lesquelles 11 civils dont un enfant de 8 ans, ont été tuées dans les tirs menés par le Cambodge, dans trois provinces thaïlandaises.
Des affrontements ont éclaté jeudi matin près de temples à la frontière entre la province de Surin, dans l'est de la Thaïlande, et celle d'Oddar Meanchey, dans le nord du Cambodge, les deux armées s'accusant mutuellement d'avoir ouvert le feu. La Thaïlande a ensuite accusé le Cambodge d'avoir tiré des roquettes et de l'artillerie sur son territoire, notamment dans la province de Sisaket, où une attaque à la roquette a touché une supérette près d'une station-service, et dans celle de Surin.
Bangkok a déployé des avions de combat F-16 contre deux cibles militaires cambodgiennes, selon un responsable de l'armée. Phnom Penh n'a pas souhaité communiquer sur d'éventuels dégâts. La Thaïlande a accusé le Cambodge d'être "inhumain, brutal et avide de guerre", affirmant qu'il cible des infrastructures civiles. Le Cambodge a rejeté ces accusations et assuré que Bangkok conduisait une "agression militaire". Le ministère de la Défense cambodgien a précisé que ses troupes avaient uniquement visé des objectifs militaires.
Un conflit hérité des frontières tracées à l'époque coloniale
Ces affrontements s'inscrivent dans une crise frontalière historique, héritée de l'époque coloniale. Si une carte établie en 1907 par la France a placé certains temples anciens du côté cambodgien, la Thaïlande a toujours contesté ces tracés, jugés imprécis, explique le magazine Time. Ce désaccord a entraîné plusieurs conflits ces dernières décennies, avant que les tensions ne soient à nouveau ravivées le 28 mai dernier après la mort d'un soldat cambodgien lors d'un échange nocturne de tirs dans la zone dite du "Triangle d'émeraude", pour sa proximité avec un troisième pays, le Laos.
Peu après l'incident, les deux parties se sont rejeté la responsabilité. Pour Phnom Penh, les troupes thaïlandaises ont attaqué un poste de tranchée occupé par l'armée cambodgienne, tuant alors le soldat, explique le magazine américain. De son côté, Bangkok a affirmé avoir riposté après que les forces cambodgiennes ont "commencé à utiliser des armes", rapporte le Bangkok Post(Nouvelle fenêtre).
Des mesures de représailles, décrétées par les deux camps, ont déjà affecté l'économie et le sort de nombreux habitants des régions concernées. La Thaïlande a notamment restreint les passages terrestres à la frontière, tandis que le Cambodge a suspendu l'achat de plusieurs produits auprès de son voisin, dont le carburant.
Des conséquences diplomatiques
Jeudi, les affrontements ont éclaté quelques heures après que la Thaïlande a expulsé l'ambassadeur cambodgien et rappelé son propre ambassadeur en signe de protestation après l'explosion d'une mine cette semaine ayant blessé cinq militaires thaïlandais. Sur Facebook, l'ambassade de Thaïlande à Phnom Penh a exhorté ses ressortissants à quitter le Cambodge "le plus tôt possible". Dénonçant les attaques "non provoquées, préméditées et délibérées" de la Thaïlande, le Premier ministre cambodgien, Hun Manet, a adressé sur Facebook(Nouvelle fenêtre), jeudi, une lettre au président du Conseil de sécurité de l'ONU dans laquelle il réclame une "réunion d'urgence pour mettre fin à l'agression de la Thaïlande".
La crise a provoqué de nombreuses réactions internationales. "Profondément préoccupée", la Chine a exhorté les deux pays à résoudre leur différend frontalier par le dialogue, dans un communiqué. Le Premier ministre malaisien, Anwar Ibrahim, qui occupe la présidence tournante de l'Association des nations d'Asie du Sud-Est (Asean), a appelé à la "retenue". Les Etats-Unis, la France et l'Union européenne ont également exprimé leur inquiétude, appelant à une résolution pacifique.
Le Cambodge a annoncé avoir déposé une nouvelle plainte auprès de la Cour internationale de justice (CIJ) concernant quatre zones contestées. La Thaïlande, pour sa part, privilégie un mécanisme bilatéral en place depuis près de trente ans pour résoudre le différend.