#MeToo : comment sauver un film entaché par des suspicions de violences sexuelles ?

Je le jure, nouveau long-métrage signé Samuel Theis, sort mercredi 26 mars dans des conditions un peu particulières, alors qu'une enquête judiciaire visant le réalisateur, à la suite d'une plainte pour viol, est toujours en cours.

En juillet 2023, Samuel Theis est accusé de viol par un technicien lors du tournage du film, en Moselle. Les faits se seraient produits après une soirée bien arrosée, organisée dans l'appartement loué par la production. Le réalisateur reconnaît avoir eu une relation sexuelle avec le plaignant, mais affirme que celle-ci était consentie. De son côté, le plaignant dit qu'il se trouvait dans l'incapacité d'exprimer son consentement. Une enquête interne est immédiatement ouverte par la production. 

Malgré une "absence d'éléments probants", le plaignant quitte le film tout en continuant à percevoir sa rémunération et la production met en place un protocole de confinement pour la fin du tournage. Samuel Theis dirige les scènes à distance. "Ce protocole nous a permis de prendre acte d'une souffrance [du plaignant], tout en terminant le film", a expliqué à l'AFP l'une des actrices.

Un accompagnement psychologique et un espace "ouvert à tous jusqu'à la fin du tournage pour faciliter les échanges et formaliser les demandes particulières en lien avec la situation" sont mis en place dans les jours qui suivent.

Une plainte pour viol est déposée en juillet 2023, suivie d'une plainte avec constitution de partie civile en novembre 2023. ​ Après l'audition de Samuel Theis par la juge le 4 juillet 2024, le réalisateur n'est pas mis en examen, mais placé sous le statut de témoin assisté.

Transparence et dispositif d'accompagnement

Dans ce contexte, alors que l'enquête est toujours en cours, la production et la distribution décident d'accompagner la sortie du film avec toutes les précautions nécessaires, "avec transparence et sérieux". Je le jure sort en salles accompagné d'un dispositif de "non-mise en lumière" de son réalisateur, qui ne donne pas d'interview, sauf l'entretien figurant dans le dossier de presse, et ne participe à aucune avant-première.

Un document rappelant l'affaire est envoyé aux cinémas qui le programment. Dans le dossier de presse et sur le site du distributeur (Ad Vitam), une note explique clairement la situation et les mesures prises pour éviter de compromettre la sortie d'un film "fruit d'un travail collectif". Des précautions mises en place pour "préserver la sérénité de l'enquête et tenter de répondre aux questions relatives au traitement des violences sexistes et sexuelles dans le cinéma", précise la note.

"Il sera par ailleurs proposé aux exploitants qui le souhaitent de contextualiser le film par un rappel des faits signalés, des mesures de protection et d'enquête mises en place par la production, et de l'état d'avancement de la procédure judiciaire en cours", ajoute la production.

"Ces mesures de protection favorisent la libération de la parole des victimes, en leur montrant qu'on ne peut pas les intimider en leur faisant porter le poids de la mort d'un film."

Caroline Bonmarchand, productrice

à l'AFP

Sensible à ses questions, Caroline Bonmarchand est l'une des fondatrices du collectif 50/50, qui lutte pour l'égalité entre les femmes et les hommes dans le cinéma. "Nous sommes convaincus que le fruit d'un travail collectif ne doit pas être invisibilisé s'il a été accompagné correctement dès le premier signalement", insiste la productrice.

La ministre de la Culture Rachida Dati s'est également dite "gênée par la sanction collective (...), de punir tout un film en raison d'un comportement inapproprié ou illégal d'une personne". CE2, le dernier film du réalisateur Jacques Doillon, accusé de viol sur mineur par la comédienne Judith Godrèche, quand elle était adolescente, n'est pas sorti dans les salles. L'actrice Nora Hamzawi, qui tient l'un des rôles principaux, s'y est opposée. Le film était également entaché par des suspicions de maltraitance sur des enfants au moment du casting du fim.

Un meilleur encadrement des tournages

Privé de festivals, avec une sortie retardée, dans un nombre de salles beaucoup plus restreint que prévu, le film de Samuel Theis, malgré toutes les mesures engagées, aura à pâtir de l'affaire. Des petites productions comme Je le jure (5 millions d'euros de budget) aux plus grosses, c'est toute l'industrie du cinéma qui doit s'adapter à cette nouvelle donne.

Selon Le Monde, Caroline Bonmarchand a engagé un travail plus approfondi en réunissant pendant six mois en 2024 un groupe de vingt-sept professionnels du cinéma pour "établir une panoplie d'outils qui pourront être mis à disposition des producteurs, distributeurs ou réalisateurs amenés à gérer ce type de situation".

Sous l'impulsion du Centre national du cinéma (CNC), depuis 2021, une assurance permet également désormais d'indemniser à hauteur de 500 000 euros cinq jours d'interruption de tournage en cas de signalement de violences au procureur.

Des professionnels aimeraient assouplir ce dispositif, dont les conditions n'ont pas encore permis le déclenchement.

"Ceux qui pensent que le mieux est de mettre la poussière sous le tapis se trompent lourdement."

Dimitri Rassam

devant la commission d'enquête de l'Assemblée sur les violences dans le cinéma

"Désormais, c'est la gestion du risque juridique, économique et d'image qui prime, et c'est vertueux", a-t-il poursuivi, expliquant que les grosses productions ont tout intérêt à éviter harcèlement ou agressions sur leurs plateaux.

Les producteurs réfléchissent maintenant à deux fois avant de lancer un projet avec des réalisateurs ou acteurs dont ils redoutent le comportement : "C'est notre responsabilité économique et commerciale de prendre en compte tout ça quand on décide de faire un film", avec "des millions d'euros en jeu", a plaidé le patron de Pathé Films, Ardavan Safaee, l'un des hommes les plus puissants du cinéma français, devant la même commission.

Limiter les fêtes de tournage

Jamais confronté à un signalement d'agression sexuelle, Hugo Sélignac, producteur de L'Amour ouf, a raconté avoir eu à gérer des problèmes de "violences psychologiques" : "Il m'est arrivé de dire 'on serre les fesses', le tournage est bientôt fini", mais cette époque est désormais révolue, précise-t-il.

De nombreuses productions affirment enfin avoir renoncé aux fêtes de tournage, alcoolisées, propices aux agressions. "Nos métiers étaient réputés festifs, ça a largement diminué", a témoigné à l'Assemblée François Kraus, producteur des films de Nicolas Bedos ou Maïwenn, qui veut "limiter les risques". "Je réduis les fêtes au maximum", abonde Dimitri Rassam. "On n'est pas fun, mais c'est comme ça."