Course à l’armement et sécurité commune européenne : « Il faut construire des ”accords d’Helsinki” de notre époque »
Que vous inspire la course aux armements mise en œuvre en Europe et présentée comme le seul moyen de répondre aux menaces de Poutine et de la Russie ?

Francis Wurtz
Député européen PCF honoraire
L’image qui me vient à l’esprit est celle de deux bolides lancés sur une route l’un vers l’autre à pleine vitesse et qui accélèrent toujours plus, chacun se persuadant que l’autre cédera au dernier moment et qu’il triomphera. C’est ainsi que se préparent les catastrophes. Il faut en revenir à l’esprit d’Helsinki.
Certes, le monde d’aujourd’hui n’est pas celui d’il y a cinquante ans. Mais l’essentiel demeure : nous partageons durablement notre continent avec la Russie, il faut donc travailler à établir le moment venu une architecture de sécurité commune.
Chaque pays signataire devra s’engager à ne pas prendre pour sa propre sécurité des mesures mettant en cause la sécurité d’un autre pays signataire. Ce principe est au cœur de la sécurité collective.
L’agression de Poutine contre l’Ukraine peut-elle se laisser maîtriser de cette façon ?
Non, bien sûr. Cette architecture de sécurité n’est envisageable qu’après la fin de cette maudite guerre. Et pour cause : cette future architecture de sécurité doit être fondée sur le droit international, que cette guerre viole grossièrement ! Mais il faut travailler dès maintenant à cette perspective, sans s’interdire de parler avec Moscou. Faire le contraire est contre-productif.
Quant aux dirigeants occidentaux, ils auront également à tirer les leçons de l’extension de l’Otan vers les frontières de la Russie : nombre de diplomates américains avaient, à la fin des années 1990, mis en garde contre le développement du nationalisme « grand-russe » qui en résultera. Ils n’ont pas été entendus.
Il faut sortir de cette logique de blocs devenue la référence obligée de nos dirigeants français et européens aujourd’hui. Elle nourrit une escalade mortifère.
Jusqu’à envisager l’usage d’un « premier coup » nucléaire pour terrasser l’ennemi sans qu’il puisse répondre ?
Nous sommes à la veille des commémorations du 80e anniversaire d’Hiroshima et de Nagasaki. Et voilà qu’au lieu d’avancer vers l’abrogation de l’arme nucléaire, on la banalise. L’Allemagne, la Pologne, la France n’ont plus que ce mot à la bouche ! Et Poutine multiplie les gesticulations à propos de l’arsenal russe ! On banalise ainsi l’idée d’un éventuel usage de l’arme atomique sur un champ de bataille. C’est irresponsable.
L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) existe toujours. Peut-elle constituer un point d’appui pour retrouver la voie de la détente sur le continent ?
Malheureusement, l’OSCE est aujourd’hui tributaire des priorités va-t-en-guerre défendues par la plupart des gouvernants européens. Comme à l’époque de l’Ostpolitik (politique d’ouverture à l’Est, NDLR) du chancelier Willy Brandt, qui avait eu le courage de rompre avec l’esprit de guerre froide, il faut à nouveau faire preuve de volontarisme et prendre l’initiative d’un processus permettant de construire des « accords d’Helsinki » de notre époque.
L’implication de l’ONU fut au cœur de l’accord d’Helsinki. Le multilatéralisme est-il à nouveau la clé ?
L’ONU doit jouer un rôle décisif. Les pays des Brics, rejoints par la plupart des pays dits du Sud global, sont les seuls à avoir mis sur la table des propositions multilatérales de sortie du conflit en ne lâchant rien sur les principes fondamentaux de l’ONU. Ils souffrent, eux aussi, à des degrés divers, des conséquences de la politique des blocs. Il faut s’appuyer sur leurs efforts pour trouver une solution dans l’intérêt commun des Européens et de l’humanité entière.
L’aspiration à la détente et à la paix au sein des opinions publiques a joué un rôle sans doute décisif dans l’émergence de l’accord d’Helsinki. Peut-on encore compter sur des mobilisations analogues aujourd’hui ?
La plupart des dirigeants européens s’emploient à militariser les esprits. Il faut dénoncer cette pédagogie manichéenne de préparation à la guerre. Un pays comme l’Espagne, dont le gouvernement refuse la folle augmentation des dépenses militaires entérinées par l’Otan à son dernier sommet fin juin, a bien saisi les conséquences délétères de tels choix.
En Allemagne, un manifeste adopté par de hauts dirigeants du SPD souligne l’importance de résister à la fuite en avant militariste mise en œuvre par leur gouvernement de coalition. C’est la bonne voie. Développer une pédagogie de la paix est aujourd’hui un enjeu vital pour toute l’Europe.
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