Ukraine : Moscou aurait recruté des mercenaires houthis au Yémen

Des mercenaires Houthis, mouvement rebelle chiite du Yémen soutenus par l’Iran, ont-ils été envoyés sur le front ukrainien après avoir été enrôlés par la Russie ? « Cette information n’est pas confirmée pour le moment mais elle n’est pas à exclure », répond l’orientaliste russe Rouslan Souleïmanov, un bon connaisseur du Yémen qui s’y est rendu récemment. 

« Dans un contexte local de chômage colossal, les Yéménites sont prêts à tout type de travail, y compris à faire la guerre. Lorsque j’étais sur place, cet été, de nombreux Yéménites m’ont demandé s’ils pouvaient participer à la guerre, côté russe », raconte l’expert au Figaro. Selon le Financial Times, quelque deux cents Houthis ont été recrutés à partir de juillet dernier, envoyés en Russie, Nijni Novgorod, sur la Volga pour une préparation minimale avant d’être envoyés sur le front en Ukraine où beaucoup d’entre eux auraient été tués.

Des pertes extrêmement lourdes 

« Nous sommes sous les bombardements, nous n’avons pas une seule minute de répit », raconte l’un de ces hommes dans une vidéo qu’a pu visionner le FT. Selon lui, ils seraient employés à construire des tranchées et des abris dans des zones infestées de mines. De tels témoignages, s’ils étaient avérés, confirmeraient la volonté de Moscou d’élargir le recrutement à l’étranger face à des pertes extrêmement lourdes –évaluées à mille morts et blessés par jour-, afin d’éviter une deuxième vague de mobilisation, après celle de septembre 2022. 

Ces efforts ont conduit notamment à l’envoi en Russie de recrues népalaises, indiennes, et de l’arrivée de 12 000 soldats nord-coréens dans la région de Koursk, partiellement occupée par les forces ukrainiennes depuis août dernier.

Deux délégations houthies reçues à Moscou

Ce renfort de combattants venus des lointains rivages du Golfe d’Aden s’inscrit dans le contexte du rapprochement spectaculaire opéré depuis trois ans entre Moscou et le mouvement houthi qui contrôle environ un tiers du territoire du Yémen, y compris la capitale Sanaa. Un pays de 33 millions d’habitants en proie à une véritable catastrophe humanitaire, où six habitants sur dix vivent dans une pauvreté extrême et dont le PIB a chuté de 54% depuis le début de l’insurrection houthie contre le pouvoir du président Abdrabbo Mansour Madi, en 2014 – avec pour objectif afficher de « lutter contre l’hégémonie de l’Occident ».

De son côté, la Russie après avoir tenu une position diplomatique d’équidistance entre les parties de cette guerre civile, favorise clairement depuis 2022 la coopération avec les Houthis, notamment dans le domaine militaire. Le 21 février 2022, trois jours avant l’invasion de l’Ukraine, les Houthis ont soutenu la reconnaissance par le Kremlin de l’indépendance de républiques pro-russes sécessionnistes de Donetsk et Lougansk. 

« La coopération militaire entre la Russie et les Houthis est de plus en plus active. Des conseillers militaires russes sont déjà présents à Sanaa et Moscou négocie des livraisons d’armes », souligne le spécialiste du Yémen Rouslan Souleïmanov. Depuis le début 2024 deux délégations d’Ansar Allah, le nom officiel du mouvement houthi, ont été reçues à Moscou par Mikhaïl Bogdanov, l’envoyé spécial de Vladimir Poutine pour le Moyen-Orient. Le site d’information Meduza évoque également la tenue récemment à Téhéran de négociations secrètes entre Russes et Houthis sur la fourniture d’armes russes. 

De fait, dans leurs rapports, des experts du Conseil de sécurité de l’ONU ont récemment enregistré des cas de tentatives d’introduction clandestine au Yémen de missiles guidés antichar 9M133 Kornet, de fusils d’assaut AKS20U et d’autres armes présentant des caractéristiques techniques et des marquages ​​similaires à ceux produits dans la Fédération de Russie.

Le sulfureux marchand d’armes Viktor Bout serait à la manœuvre

Selon le Wall Street Journal, l’intermédiaire dans les négociations entre le Kremlin et les rebelles houthis ne serait autre que le sulfureux marchand d’armes Viktor Bout, emprisonné aux Etats-Unis d’où il a été extradé en Russie en 2022, en échange de la libération de la basketteuse américaine Brittney Griner. Des éléments démentis et qualifiées de « tentatives d’attaques informationnelles » par le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

Cette coopération entre Moscou et les Houthis ne cesse de préoccuper les services de renseignement occidentaux, surtout depuis le retour en octobre 2023 de la guerre au Proche-Orient dans laquelle se sont pleinement engagés les rebelles yéménites. En septembre dernier, ils ont tiré un missile – « hypersonique », ont-ils affirmé — sur Israël – une première. 

Par ailleurs, les Houthis se sont lancés dans une campagne de frappes contre les navires américains et britanniques croisant dans le Golfe d’Aden, une zone stratégique de première importance pour le commerce mondial où transitent 12% de la production mondiale de pétrole. Or, toujours selon Wall Street Journal, les rebelles yéménites ont pu utiliser des données de satellites russes, transmises par des intermédiaires iraniens, pour cibler des bateaux en Mer Rouge avec des missiles balistiques et des drones.

2000 dollars mensuels et un passeport russe 

En revanche, dans une interview accordée au journal Izvestia, un porte-parole du mouvement des Houthis a assuré que ceux-ci ne prévoyaient pas d’attaquer les navires russes – ainsi que chinois- présents en mer Rouge. « Avec la Russie, nous pouvons vaincre l’Amérique », proclament les rebelles, en fustigeant le blocus mis en place contre eux par l’Arabie saoudite et la coalition maritime internationale organisée par les États-Unis qui frappe des cibles rebelles au Yémen, parfois avec l’aide du Royaume-Uni.

Parallèlement à ces discussions sur les transferts d’armement, le recrutement des mercenaires aurait été effectué via une société enregistrée à Oman et dirigée par un influent politicien houthi, Abdulwali Abdo Hassan al-Jabri, selon le FT. Une compagnie officiellement présentée comme un « tour operator » ou opérant dans la distribution de produits pharmaceutiques… Abdoullah, un des Yémenites joints par le quotidien britannique, raconte qu’on leur avait promis un bonus de 10.000 dollars et 2000 dollars mensuels avec l’assurance d’un passeport russe et d’un travail dans une usine de drones. Mais arrivé sur place, rien de tout cela ne se serait révélé exact. Au lieu du travail d’« agent de sécurité » ou même d’« ingénieur » qu’on leur faisait miroiter, ces hommes auraient été envoyés en première ligne, après avoir été contraints de signer leur contrat « un pistolet sur la tempe ».

« J’ai signé parce que j’avais peur », témoigne encore Abdoullah. Mais, ajoute-t-il, « tout ceci n’était que des mensonges, du trafic d’êtres humains ». Selon des sources citées par le FT, « plusieurs centaines » de Yéménites se trouveraient toujours en Russie. Abdoullah, lui, a eu de la chance. Il fait partie d’un groupe de onze de ses compatriotes autorisés à regagner son pays, via Oman, en grande partie grâce à l’action de la Fédération des migrants yéménites, une organisation qui fait pression sur les autorités de Sanaa pour que ces combattants d’infortune soient retirés du champ de bataille ukrainien.