Proche-Orient : "Au moment où il y a une trêve à Gaza, le feu reprend en Cisjordanie", déplore un spécialiste des relations internationales

Deux jours après le début d'une trêve dans la bande de Gaza entre Israël et le mouvement islamiste palestinien Hamas, l'armée israélienne a lancé une vaste opération en Cisjordanie baptisée "Mur de fer". "Au moment où il y a une trêve à Gaza, le feu reprend en Cisjordanie de manière particulièrement brutale", déplore samedi 25 janvier sur franceinfo le spécialiste des relations internationales Bertrand Badie. Selon lui, l'intensification des violences palestiniennes en Cisjordanie met nécessairement en péril l'accord de trêve à Gaza qu'il juge déjà " fragile en soi".

franceinfo : L'armée israélienne mène depuis plusieurs jours des raids militaires en Cisjordanie. Cela veut-il dire que la guerre a simplement changé de territoires palestiniens ?

Bertrand Badie : Les affrontements en Cisjordanie ont pris une nouvelle dimension au moment même où un cessez-le-feu était conclu à Gaza. Mais le problème de la Cisjordanie, qu'on avait un peu laissé de côté vu le désastre, la violence que représentaient les attaques sur Gaza, rampait depuis des mois et des mois. C’est-à-dire qu’on trouve là des colons israéliens particulièrement actifs qui prenaient l'initiative de déloger des Palestiniens, de détruire leurs habitations, leurs récoltes, leurs troupeaux, cela sous le regard indifférent de l'armée israélienne. Et maintenant, c'est l'armée elle-même qui prend le relais et qui est le principal acteur. Comme si, et cette hypothèse a été avancée par beaucoup d'observateurs, certains membres du gouvernement comme Bezalel Smotrich [ministre des Finances et ministre au ministère de la Défense], très réticents à l'idée de ce cessez-le-feu à Gaza, avaient obtenu en compensation que des opérations de police extrêmement fortes aient lieu en Cisjordanie.

Quel est le but de ces opérations en Cisjordanie ?

Une interprétation possible serait que, paradoxalement, aussi violente que fut l'action sur Gaza, on n’a jamais clairement parlé d'annexion de Gaza. Tandis que l'idée d'une annexion de la Cisjordanie, baptisée par les dirigeants israéliens, Galilée et Judée-Samarie, a toujours été envisagée. Et donc, d'un certain point de vue, la gravité de la question cisjordanienne risque même de dépasser celle de Gaza sur le plan institutionnel et politique.

"Tout le monde a à l'esprit que si Netanyahou veut faire un acte spectaculaire qui restera du temps où il dirigeait le gouvernement israélien, c'est de profiter de cette situation pour annexer, sinon de droit, du moins de fait, les territoires palestiniens."

Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales

à franceinfo

Est-ce que ce report de la violence militaire sur la Cisjordanie peut fragiliser l'accord de trève à Gaza ?

L’accord de trêve à Gaza est fragile en soi d’abord parce qu'il est en trois étapes. C'est toujours très mauvais. Il suffit que l’on ait du mal à passer d'une étape à l'autre pour que tout s'écroule. Fragile aussi parce que, par ailleurs, Benjamin Netanyahou a rappelé qu'il ne se sentait lié par rien du tout, et qu'il n'avait pas l'intention d'arrêter la guerre à Gaza. Donc on sent que tout tient à un fil. Mais il est évident que si les choses venaient à dégénérer de manière sensible en Cisjordanie, l'effet serait communicant sur Gaza. Ce sont souvent les mêmes acteurs ou presque qui sont à Gaza et en Cisjordanie. On a tendance à assimiler le Hamas à Gaza, mais il est très présent également en Cisjordanie et la décomposition de l'Autorité palestinienne va plutôt renforcer ses courants autour du Hamas lui-même et le jihad islamique. Donc évidemment, il n'y a pas de Palestiniens de Gaza et ceux de Cisjordanie.