Deux Procureurs, Les Braises, L’Inconnu de la Grande Arche... Les films à voir cette semaine

Deux Procureurs - À voir

Drame de Sergeï Loznitsa - 1h58

L’humour absurde en bandoulière derrière l’austérité d’une mise en scène aussi froide que rigoureuse, Sergei Loznitsa décortique patiemment la logique aberrante de la bureaucratie stalinienne.

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Alors que tout est fait pour décourager les velléités redresseuses de torts, du jeune Kornev, juriste, bolchevique convaincu, qui remonte la dune bureaucratique du communisme triomphant, grippant la machine à broyer bolchevique. Inspiré d’une nouvelle de Gueorgui Demidov (1908-1987), écrite en 1969 par ce physicien arrêté en 1938 avant d’être envoyé au Goulag, l’histoire se déploie avec malice dans un dédale où les gardiens de prison prennent des allures de minotaures aussi durs et gris que les couloirs qu’ils arpentent. Avec Deux procureurs, le réalisateur de Donbass et d’Une femme douce signe un film remarquable centré sur le parcours kafkaïen d’un magistrat novice et idéaliste persuadé de la justesse de sa cause.

Dans Deux procureurs, le rire n’est jamais loin. L’horreur et le désespoir aussi. Pourtant, Loznitsa n’impose jamais aux spectateurs de trancher entre ces deux visions. O.D.

L’Inconnu de la Grande Arche - À voir

Drame de Stéphane Desmoutier - 1h46

L’Inconnu de la Grande Arche met en scène une histoire inédite, dévoilée par Laurence Cossé dans un récit foisonnant, La Grande Arche (Gallimard). Stéphane Demoustier resserre la focale sur l’architecte derrière ce monument mal-aimé, inaccessible au public, coquille vide hormis quelques bureaux, et fait du prince sous le règne de Mitterrand, président bâtisseur (pyramide du Louvre, Opéra Bastille, Grande Bibliothèque).

Portrait passionnant d’un créateur idéaliste ou irresponsable - Demoustier ne tranche pas - L’Inconnu de la Grande Arche est aussi une savoureuse satire de la mitterrandie, avec ses courtisans, ses luttes politiques, sa cohabitation, dont Spreckelsen découvre les ressorts en même temps que tous les Français - Alain Juppé, nouveau ministre du Budget, serre la vis en 1986. Paul Andreu (Swann Arlaud), maître d’œuvre pragmatique, et Jean-Pierre Subilon (Xavier Dolan), fusion des conseillers en urbanisme Jean-Pierre Subileau et Robert Lion, s’échinent à sauver les meubles. Ou plutôt les murs.

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Stéphane Demoustier encapsule le Paris des années 1980. Magie du cinéma et du numérique qui permet de reconstituer les chantiers des grands travaux mitterrandiens. Outre l’Arche, on voit la pyramide du Louvre sortir de terre, le temps d’une séquence où Spreckelsen vient prendre conseil auprès de Pei. E.S.

Les Braises - À voir

Drame de Thomas Kruithof - 1h42

Jimmy est chauffeur routier. Karine travaille dans une pâtisserie industrielle. C’est bientôt Noël. Après, il y aura les galettes des Rois. En France, la révolte gronde. Le prix du gazole a augmenté. On connaît la suite. 2018, c’est si loin déjà. Karine s’enflamme, enfile un gilet jaune. Chaque week-end, elle se rend sur les ronds-points. Il continue à rouler sur des nationales, discute avec ses employeurs, veut sauver son job quitte à tricher un peu avec la légalité. Curieuse de tout, dévorée d’espoir, elle rêve. Entre eux, le fossé se creuse. À quoi ça tient, un groupe Facebook, des braseros, de la solidarité, et un couple se délite. Dialogue de sourds.

« Je me bats pour mon pays. » « Tu te prends pour Jeanne d’Arc ? » Ils ne se comprennent plus. Les disputes succèdent aux malentendus. Elle y croit. Il doute. Pour elle, entre deux manifestations, il s’agit de « rendre le monde moins con ». Vaste programme. Il est plus sceptique. Les Braises roule à son train, plan-plan, pas plus de 80 km/h. Quant au titre, les littéraires se souviendront qu’il s’agit d’un beau roman de Sandor Marai. De quoi se mêlent-ils, ceux-là ? Si on ne peut plus protester tranquillement contre Macron, maintenant… E.N.

Duel à Monte-Carlo del norte - À voir

Animation de Bill Plympton - 1h20

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Après sept ans de réflexion, Bill Plympton est de retour avec un nouveau film d’animation aussi drôle que déjanté Duel à Monte-Carlo del norte. À presque 80 printemps, l’auteur de L’Impitoyable Lune de miel! ou des Mutants de l’espace met cette fois en scène un personnage à la Clint Eastwood qui se retrouve plongé dans le chaudron délirant des Monty Python. Slide, cow-boy guitariste tout ce qu’il y a de plus taiseux, arrive à Sourdugh Creek, petite ville forestière gangrenée par la corruption.

À l’aide d’un monstre en forme de cafard géant surnommé Hell Bug et de sa guitare de compétition, ce héros mutique à la Lucky Luke va combattre le méchant maire et son jumeau tout aussi égoïste, afin de purger l’exploitation forestière de leur emprise néfaste... On n’oubliera pas la belle chanteuse de saloon Delilah pour qui se bat notre «lonesome cow-boy» tanné jusqu’à la moelle. Avec des teintes terre de Sienne, Plympton revisite à sa façon le western en y injectant sa touche parfaitement délirante. Matt Groening, le créateur des Simpson a dit un jour : «Bill Plympton est dieu ou alors il a vendu son âme au diable». On ne saurait mieux dire, Yippee ki yay ! O.D.

La Vague - On peut voir

Drame musical de Sebastian Lelio - 2h09

En matière de déconstruction, Sebastian Lelio a apporté sa pierre à l’édifice. Depuis ses débuts le réalisateur chilien met à l’honneur les femmes, cisgenres (Gloria et Gloria Bell, son remake américain avec Julianne Moore) ou trans (Une femme fantastique).

Dans La Vague, son féminisme surfe en musique sur l’histoire récente de son pays. Le cinéaste s’inspire du blocage des universités et lycées au printemps 2018 par les étudiantes et les lycéennes chiliennes, protestant contre le harcèlement. Julia rejoint le mouvement au moment où elle est elle-même victime d’un viol. Elle chante et danse, avec ou sans cagoule, avec ses camarades de lutte.

Lelio et ses collaborateurs (le compositeur Matthew Herbert, le chorégraphe Ryan Heffington) se démènent dans un décor monotone pour insuffler de l’énergie à ce clip qui coche toutes les cases de la fiction post #Metoo (consentement, sororité…). Plus proche du flash mob que du drame musical. E.S.

T’as pas changé - À éviter

Comédie de Jérôme Commandeur - 1h45

Pour son troisième film, Jérôme Commandeur adapte l’intrigue d’une comédie suédoise sortie en 2009, Klassfesten. Avec une distribution quatre étoiles où brillent Laurent Lafitte, Vanessa Paradis, François Damiens ou Catherine Hiegel, T’as pas changé met en scène les retrouvailles d’un groupe de copains de classe qui veut organiser une fête pour honorer un quatrième larron disparu tragiquement à la cinquantaine. Dans ce long-métrage générationnel qui lorgne vers Les Petits mouchoirs, Lafitte joue un chanteur de variété des années 90 qui papillonne de villes en filles faciles. Damiens est devenu un avocat jaloux de la réussite de sa femme et Commandeur déprime après que sa femme a fini par installer son amant et sa mère à la maison... Entre Les meilleurs copains et Star 80, cette comédie chorale nostalgique, volontiers potache, ne décolle jamais vraiment. La faute à une mise en scène décousue qui s’éparpille un peu trop... Dommage. O.D.