"Je ne vois pas pourquoi j'irais peloter une femme" : à son procès, Gérard Depardieu nie toute agression sexuelle

Gérard Depardieu ne se déplace pas sans son "cube". Selon l'une de ses accusatrices, il était assis dessus lorsqu'il l'a agressée sexuellement sur le tournage du film Les Volets verts en 2021. C'est également sur cet accessoire de plateau de tournage, pour l'occasion recouvert d'un paréo, qu'il a répondu aux questions du tribunal correctionnel sur ces faits, mardi 25 mars, au deuxième jour de son procès.

Dans le même costume noir que la veille, l'acteur de 76 ans est appelé à la barre par le président, qui vient de résumer les "325 pages" de charges concernant Amélie, une décoratrice de 54 ans. Ses soutiens sont assis sur les bancs blancs derrière, tels que l'acteur Vincent Perez et l'écrivain David Foenkinos. Gérard Depardieu refait d'abord la "petite histoire de [sa] vie" en évoquant une "interview" en 1974 pour la promotion des Valseuses de Bertrand Blier aux Etats-Unis. "J'ai eu tort de croire que je pouvais parler anglais et je me suis retrouvé dans le Time magazine qui indiquait qu'à 9 ans je participais à des viols", raconte-t-il, y voyant l'origine de "sa réputation de voyou".

Cela n'a pas empêché l'acteur de faire "à peu près 250 films", de rencontrer "énormément de metteurs en scène", de côtoyer "beaucoup de gens importants", se plaît-il à rappeler, retardant le moment d'en venir aux faits. Gérard Depardieu n'omet pas sa "nationalité" et sa "nature" russes. "Je ne sais pas si c'est lié à ma vulgarité, il se trouve qu'en Russie, on n'est pas grossier", ponctue le comédien. "On en vient aux faits qui vous sont reprochés", accélère le président, qui sait son temps d'interrogatoire compté en raison du maximum de six heures d'audience recommandé par l'expert médical.

"On dit que je suis un gros dégueulasse"

Le prévenu livre donc à sa version de ce qu'il s'est passé en septembre 2021, dans un hôtel particulier de l'avenue Mozart, dans le 16e arrondissement de Paris. Sous la direction de Jean Becker, il y joue alors le rôle d'un grand acteur des années 1970 au crépuscule de sa carrière et devenu alcoolique. Gérard Depardieu, "150 kg", lui-même acteur vieillissant et connu pour son penchant pour la boisson, est assis sur son cube entre deux prises. Il met sur le compte de l'attente, de "la chaleur", de la fin de semaine – un vendredi – et de sa "mauvaise humeur" sa grossièreté sur le plateau. "Il m'arrive de dire 'chatte, chatte allons-y parce que je mouille' pour énerver et pour m'amuser", admet celui qui a incarné Cyrano de Bergerac.

C'est dans ce contexte, selon lui, qu'il "voit une femme un peu belle, mais fermée, teléphone en main". Amélie, décoratrice sur le film, s'affaire sur l'aménagement d'une pièce. L'acteur affirme la prendre pour la "propriétaire des lieux", se décrit "agacé" qu'elle ne lui "dise pas tout de suite qu'elle est ensemblière" et "choqué" qu'elle qualifie "un tableau" dans le couloir de "croûte". Selon lui, son travail dans "la pièce, pas du tout préparée", avec "des lits jumeaux de mauvaise qualité, des oreillers froissés", l'"échauffe". "J'attrape les hanches", "je lui dis : 'Il faut savoir si tu veux faire de la brocante ou si tu veux être décoratrice'", balance l'acteur comme une mauvaise réplique.

Alors que le président relève qu'il avait nié l'avoir touchée en garde à vue, Gérard Depardieu s'accroche à son argumentaire comme un funambule à sa barre : "Je prends la hanche pour ne pas glisser, tellement j'étais agacé de son comportement", tente-t-il, assurant que son précédent avocat, Christian de Saint-Palais, lui avait conseillé "d'en dire le moins possible" en garde à vue. Plus tard, lors des questions des parties civiles, l'acteur affirmera avoir juste "posé" ses mains, car "attraper, ça peut déjà être une agression".

De quoi, alors, l'acteur s'est-il excusé quelques jours plus tard, comme l'ont rapporté Amélie et des témoins ? D'avoir passé "un savon". "Ce n'est pas drôle de se faire prendre un savon", justifie-t-il. Rien à avoir avec une agression sexuelle, donc, selon l'intéressé : "Je ne vois pas pourquoi j'irais peloter une femme, alors qu'il fait chaud, que c'est vendredi..."

"Je ne suis pas un frotteur dans le métro, il y a des tas de vices que je ne connais pas. De là à lui mettre la main aux fesses, c'est quoi ? Je ne suis pas Emile Louis."

Gérard Depardieu, prévenu

devant le tribunal correctionnnel de Paris

Lors de ses excuses, Gérard Depardieu "lui a gueulé dessus en disant : 'Il ne s'est rien passé d'accord'", a rapporté un témoin, cité par le président. "On peut l'interpréter comme une pression un peu appuyée", souligne le magistrat, dont la placidité contraste avec l'ambiance électrique des débats. "Après ce que je lis sur moi depuis trois ans, pas besoin d'interpréter, on dit que je suis un gros dégueulasse", lâche le comédien, convoquant ses amies, "Françoise Sagan, Marguerite Duras et Barbara", comme un paravent. Et l'acteur de conseiller aux femmes qui l'accueillent avec des pancartes "Depardieu violeur !" de méditer "sur ce que disait Madame de Staël : 'La gloire est le deuil éclatant du bonheur'".

"Ce qui me marque encore, c'est sa sauvagerie"

Appelée à son tour à la barre, Amélie s'étonne et s'"amuse un peu" de cette "dernière version". "Evidemment, c'est totalement faux", tranche cette femme élégante aux cheveux blonds ondulés. La contradiction passe par des détails, ce tableau dans le couloir qui "n'est pas une marine", qualifié de "croûte" par Gérard Depardieu et non elle-même, et par des éléments plus essentiels. Amélie décrit une première scène "située à l'entrée, près de la porte de cette chambre que j'étais en train de faire". L'acteur lui crie, selon elle, des phrases obscènes : "Ventilateur, ventilateur, je ne peux même plus bander avec cette chaleur" ou "Moi, je sais faire jouir les femmes sans les toucher". La décoratrice "soupire" et essaie de "l'occuper" en lui montrant des modèles de parasol qu'elle cherche pour un décor, selon son récit des faits.

Amélie, 54 ans, partie civile au procès de Gérard Depardieu pour agressions sexuelles, devant le tribunal correctionnel de Paris, le 25 mars 2025. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)
Amélie, 54 ans, partie civile au procès de Gérard Depardieu pour agressions sexuelles, devant le tribunal correctionnel de Paris, le 25 mars 2025. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)

"A peu près une heure plus tard", Gérard Depardieu s'installe "au bout du couloir", "sur son cube", et lui fait signe de venir, raconte la plaignante. "Je m'arrête, c'est quand même Monsieur Depardieu. C'est là qu'il m'attrape, clac, et me coince avec ses jambes, il a beaucoup de force, et il malaxe devant, derrière, autour", rapporte-t-elle, mimant les gestes. "Il faisait presque comme on fait à l'aéroport, en remontant jusqu'aux seins."

"Il me dit avec ses yeux rouges, très énervé et excité : 'Viens toucher mon gros parasol, je vais te le foutre dans la chatte.' Cette phrase, elle est tellement débile, je ne vois pas pourquoi je l'aurais inventée. J'écoute ça et je ne peux pas bouger."

Amélie, partie civile

devant le tribunal correctionnel de Paris

Amélie raconte avoir "essayé de [se] dégager" et avoir "été tirée par l'arrière par quelqu'un", "une personne ou deux, je n'en sais rien". Le président la prévient alors qu'il va se "faire l'avocat du diable" en posant certaines questions. "Pourquoi vous ne criez pas ?" débute-t-il. "J'ai été pétrifiée par ses mots, ce gros visage rouge, c'est vrai que je n'ai pas eu ce réflexe, ça ne m'était jamais arrivé", développe la plaignante. Et pourquoi a-t-elle dit qu'elle avait mis du temps à "parler d'agression sexuelle" ?

"Je ne savais pas comment qualifier une agression sexuelle. Avant, on appelait ça du pelotage. Je pensais qu'il fallait qu'il y ait l'intervention du sexe de monsieur."

Amélie, partie civile

devant le tribunal correctionnel de Paris

"Pourquoi avoir attendu [2024] avant de porter plainte ?" poursuit le président. L'ensemblière parle de son "déni" et de sa "peur". "Ce qui me marque encore, c'est sa sauvagerie, je voyais s'allumer dans son regard un plaisir de me faire peur et ça, c'est resté longtemps", précise-t-elle.

C'est en recevant par "un article d'Anouk Grinberg qui raconte l'histoire de Charlotte Arnould", comédienne qui a porté plainte contre Gérard Depardieu pour viol, qu'Amélie s'"effondre" et décide de se tourner vers Mediapart puis la justice. "Me taire, c'était être complice de tout ça", explique-t-elle à la barre, précisant avoir mis ensuite dix-huit mois avant de retrouver "un travail" dans le milieu du cinéma. "J'étais l'emmerdeuse de service", témoigne-t-elle.

Invité à réagir à ces déclarations, Gérard Depardieu dément en bloc. Tout juste admet-il les "blagues scabreuses", se réclamant cette fois-ci de Bertand Blier ou de Michel Audiard. "Bien sûr que ce sont des choses de l'ancien monde", souffle-t-il. Et l'acteur de conclure : "Je pense que mon temps est fini."