REPORTAGE. "C'est un éternel combat" : 20 ans après la loi Handicap, beaucoup reste à faire en France en matière d'accessibilité

Il y a 20 ans, une grande loi Handicap devait transformer la vie de millions de Français. Mais les manifestations qui ont eu lieu, place de la République lundi 10 février dans la soirée, à Paris notamment, à l'occasion de cet anniversaire montrent qu'il reste beaucoup à faire. Même si certaines villes sont meilleures élèves que d'autres, en matière d'accessibilité, par exemple. C'est le cas de Rennes, deuxième après Grenoble au classement des grandes villes praticables en transports pour les personnes en fauteuil.

Sandrine Roselier a 51 ans. Dans son fauteuil électrique, on la retrouve devant l'une des stations de métro du centre-ville de Rennes. "Mon handicap, c'est une paralysie cérébrale. On dit aussi IMC (infirmité motrice cérébrale). C'est un handicap lié à la prématurité. Je suis née à six mois et demi", explique-t-elle.

"J'ai la chance de vivre dans une ville où c'est relativement accessible, avec des transports adaptés"

Sandrine Roselier, de l'APF d'Ille-et-Vilaine

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Métro, bus, transport à la demande, selon Sandrine, à Rennes, la "qualité de vie, il faut le reconnaître, est assez bonne. En fauteuil électrique, je peux circuler partout en ville".

Sandrine Roselier, à gauche, dans son fauteuil électrique. (AGATHE MAHUET / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

On suit Sandrine dans le métro pour une démonstration. La ligne B est entièrement accessible. "Il y a un ascenseur qui est adapté", précise Sandrine. La ville de Rennes comporte deux lignes souterraines, mises en service en 2002 et 2022. Avant leur arrivée, Sandrine explique qu'elle utilisait le bus pour se déplacer "et puis, plus souvent avec HandiStar, le transport à la demande qu'il faut prévenir une semaine à l'avance... Là où le métro nous permet de réagir comme on veut."

Sandrine prend ce métro rennais presque tous les jours. "Parce que, comme je suis bénévole associative, j'ai une vie sociale assez chargée, mais ça me rend heureuse ! J'ai beaucoup de plaisir à le faire et je le fais aussi grâce à des transports adaptés, sinon je ne pourrai pas avoir autant de vie sociale". Des semaines bien remplies, notamment grâce à sa casquette d'élue à l'APF France Handicap, où l'on se rend justement ensemble, encore 10 minutes à pied ou en fauteuil à la sortie du métro. "Mon handicap fait que j'ai besoin de reconnaître au moins une fois une trajectoire pour la faire bien. Globalement, le centre-ville de Rennes est bien adapté", dit-elle.

Emploi, soins... l'accessibilité ne se limite pas aux transports

Vingt ans après la loi Handicap du 11 février 2005, il y a donc bien du positif. Mais si on dézoome, tout n'est pas rose, loin de là. À l'échelle du département de l'Ille-et-Vilaine, par exemple, la réalité est très différente dans les petits villages, décrypte Cécile Cottebrune-Desbats, qui dirige cette délégation APF France Handicap départementale.

"Si on parle des zones rurales, il y a des personnes en situation de handicap qui se retrouvent extrêmement isolées parce qu'elles ne peuvent pas sortir de chez elles. La loi dit que 35 à 40% des points d'arrêt de bus de train doivent être accessibles. Pour certains, ils ne respectent pas la loi et il n'y a pas forcément de sanctions qui sont appliquées. Là, on parlait des transports, mais l'accessibilité, il faut l'envisager au sens très large, parce que la vie ce n'est pas juste de prendre le bus. La vie c'est de pouvoir aller à l'école. Il y a l'accès à l'emploi aussi", insiste Cécile Cottebrune-Desbats.

"C'est tout le problème de cette loi de 2005 qui, sur le papier, était une vraie victoire, une avancée. On est en 2025, il ne se passe rien, il n'y a aucun plan de sanctions. Nous, ce qu'on veut, c'est que les préfets se mettent à sanctionner en cas de non-respect de la loi. Parce que ça suffit de nous dire qu'il faut attendre".

Cécile Cottebrune-Desbats, directrice de l'APF France Handicap en Ille-et-Vilaine

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Même problématique pour l'accès aux soins. Sandrine raconte que même dans une ville comme Rennes, aucun spécialiste n'a pu la recevoir avec son fauteuil pour le dépistage du cancer colorectal.

Sandrine Roselier (à droite) et une de ses collègues de l'association APF France handicap d'Ille-et-Vilaine. (AGATHE MAHUET / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Autour de la table, Sandrine prépare avec quelques camarades la mobilisation de cette semaine, 20 ans après la loi. Elle pense aux aides-soignants et aux auxiliaires de vie. Il faut rendre attractifs leurs postes, dit-elle, car les journées sans eux sont comme des dimanches. "Moi, j'appelle ça les journées pyjama. Ce sont les journées où il n'y a pas du tout de personnel. Alors, ça veut dire que ce jour-là, je n'ai pas de vie sociale parce que je ne peux pas sortir en pyjama, même pour faire mes courses... Même pour honorer un mandat associatif, moi qui suis bénévole, je ne peux pas", regrette-t-elle.

"Donnez-nous la possibilité d'être des citoyens à part entière", conclut Sandrine : "Nous, on peut rendre à la société au centuple ce qu'elle nous apporte, à condition qu'on nous laisse le démontrer par le travail, par le bénévolat, par n'importe quel choix que tout citoyen décide". Et Sandrine de conclure : "Mais il faut encore se battre aujourd'hui. J'ai 50 ans, je me bats depuis mes 18 ans et j'ai l'impression qu'il va encore falloir me battre jusqu'à la fin. Et puis d'autres après moi se battront encore. Parce que c'est un éternel combat !"