La France manque-t-elle de Canadair pour lutter contre la multiplication des incendies ?
"Il y a tout lieu de penser qu'on va vers un été à hauts risques", a reconnu Bruno Retailleau mardi 8 juillet, remarquant la précocité de plusieurs feux d'ampleur dans le sud de la France, notamment près de Marseille et de Narbonne.
Alors que les feux de forêt se multiplient en ce début d'été, attisés par un premier épisode de canicule, la question des moyens engagés par l'État pour faire face à ces incendies devient plus pressante que jamais.
"Sommes-nous prêts à faire face simultanément à des feux très forts à divers endroits du territoire ? La réponse est non. À un certain moment, on atteint une limite", explique Sébastien Lahaye, ancien pompier et spécialiste des feux de forêt, sur France 24. "Avec le changement climatique, on se rend compte que cette limite va être atteinte de plus en plus fréquemment."
Une flotte vieillissante et sous-dimensionnée
La flotte aérienne de la Sécurité civile compte actuellement 23 avions, dont 12 Canadair capables de larguer 6 000 litres d'eau environ chacun. Des appareils complexes dont le pilotage comporte des risques. L'un d'entre eux est en ce moment hors service, après avoir heurté un haut-fond lors d'un exercice en Corse au mois de mai.
La France dispose aussi sur le territoire national de huit avions Dash d'une capacité d'emport d'environ 10 000 litres, spécialisés notamment dans l'attaque des feux naissants. Contrairement aux Canadair qui peuvent charger de l'eau dans des lacs ou en mer, ces appareils se rechargent au sol, leur rayon d'action est donc plus restreint. La Sécurité civile compte aussi une quarantaine d'hélicoptères, dont certains capables de faire des largages d'eau.
Trois Beechcraft, des avions d'investigation chargés de faire les repérages, complètent ce dispositif. Pour l'été 2025, l'État a aussi loué 16 appareils, 10 hélicoptères et jusqu'à six avions bombardiers d'eau.
Or cette flotte n'est plus adaptée face à la multiplication des incendies, selon un rapport parlementaire rendu public début juillet. Dans ce texte, les députés Damien Maudet (La France insoumise) et Sophie Pantel (Parti socialiste) pointent du doigt l'âge des appareils. "La situation la plus critique est celle des Canadair, dont la moyenne d'âge est aujourd'hui de 30 ans", écrivent-ils. Résultat : ils sont de plus en plus souvent cloués au sol pour maintenance, note le rapport. À tel point que l'été dernier, aucun appareil n'était en état de voler certains jours.
Une extension de votre navigateur semble bloquer le chargement du lecteur vidéo. Pour pouvoir regarder ce contenu, vous devez la désactiver ou la désinstaller.

"Leur exploitation intensive, notamment en mer (ce qui accélère leur corrosion alors que ces appareils ont été originellement conçus pour écoper en eau douce), rend nécessaire un important travail de maintien en condition opérationnelle", précise le rapport. "Ces avions sont également confrontés à une indisponibilité des pièces détachées au niveau mondial, d'autant qu'aucun appareil n'a été construit depuis 2015 et que des incertitudes pèsent sur la capacité de relance de la production de nouveaux appareils et le respect de leur calendrier de livraison."
Les deux plus anciens Dash ont une moyenne d'âge de 20 ans, entre deux et six ans pour les six autres. Si ces appareils sont "particulièrement adaptés" pour attaquer les feux naissants, ils doivent se recharger au sol, limitant "leur emploi tactique sur certains feux", souligne le texte. La moyenne d'âge des Beechcraft atteint, elle, les 45 ans, ce qui "rend nécessaire" leur "remplacement rapide", complète le rapport.
Les députés recommandent donc d'investir d'urgence pour renouveler et augmenter ces moyens aériens – et d'éviter de louer les appareils à des sociétés privées à des coûts très élevés.
"Le risque incendie va exploser avec le changement climatique"
Une demande d'autant plus urgente que, malgré sa taille limitée, cette flotte doit couvrir une zone d'intervention toujours plus vaste, du fait de la multiplication des feux. Près de Narbonne, où les flammes ont ravagé 2 100 hectares de végétation, les Canadair ont prêté un renfort précieux lundi, mais les pompiers en ont été privés mardi car les avions étaient mobilisés sur Marseille. Les soldats du feu ont dû faire face à des réactivations d'incendie dans des zones escarpées sans cet appui précieux.
D'autres feux se sont déclarés mardi dans l'Hérault et le Gard, où 430 hectares ont brûlé. Mais là encore, aucun Canadair n'était disponible. "Le travail acharné des forces engagées à pied, combiné aux actions menées avec les hélicoptères, notamment" grâce à des "tuyaux de très grandes longueurs, ont permis d'atteindre les dernières lisières et de fixer l'incendie", a indiqué dans un communiqué le service départemental d'incendie et de secours (Sdis) du Gard.
À lire aussiUn mois de juin record en Europe de l'Ouest, le troisième le plus chaud à l'échelle mondiale
Sur France 24, Adrien Ponin-Sinapayen, porte-parole de la Sécurité civile, se veut rassurant. Il rappelle que "85 % des feux naissants et des feux en France sont éteints d'abord par les moyens terrestres des services départementaux d'incendie et de secours".
Pour le moment, les surfaces brûlées n'ont pas augmenté massivement depuis les années 1980 "grâce au service public de forestiers et aux sapeurs-pompiers, qui font un travail exemplaire et qui ont beaucoup progressé", reconnaît Hendrik Davi, député écologiste des Bouches-du-Rhône, département concerné par les incendies. "Mais le risque incendie va exploser avec le changement climatique et notre matériel est sous-dimensionné pour y faire face. Il va falloir monter en puissance."
Une extension de votre navigateur semble bloquer le chargement du lecteur vidéo. Pour pouvoir regarder ce contenu, vous devez la désactiver ou la désinstaller.

Des promesses non tenues d'Emmanuel Macron
En 2022, après les feux de forêt en Gironde, Emmanuel Macron avait pourtant promis de remplacer les 12 Canadair vieillissants de la France, en commençant par en acheter quatre supplémentaires. Mais à ce jour, seuls deux ont été commandés et aucun nouvel appareil n'a été réceptionné.
Les deux premiers seront livrés en 2028 au plus tôt, indique le rapport parlementaire cité plus haut.
"À la fin de l'hiver 2024, le gouvernement du Premier ministre Attal a annulé par décret les crédits qui étaient prévus (pour les deux Canadair supplémentaires). Donc aujourd'hui, on est toujours à deux", précise la députée Sophie Pantel sur Franceinfo.
À lire aussiIncendie de Marseille : "J'ai fait ce que j'ai pu, je n'avais plus d'eau"
"Je souhaite qu'on puisse en commander deux nouveaux", a fini par annoncer mardi Bruno Retailleau en déplacement à Marseille. Mais la livraison de ces deux appareils ne pourrait pas intervenir "avant 2032 dans le meilleur des cas", selon le rapport parlementaire.
Le gouvernement a aussi promis de "sanctuariser des nouveaux moyens" contre les incendies, a assuré mercredi sur RTL sa porte-parole Sophie Primas, malgré l'intense effort de réduction de la dépense publique qu'il a engagé.
Avec AFP