Budget 2026 : "C'est un budget d'une incurie politique incroyable, on n'a aucune vision", charge Karim Bouamrane, maire PS de Saint-Ouen-sur-Seine
Les réactions s'enchaînent à gauche pour dénoncer la trajectoire prise par le Premier ministre François Bayrou et son gouvernement, afin de redresser les finances du pays. Avec un plan sur quatre ans, comprenant une année blanche, et près de 44 milliards d'économies à la clé, le chef du gouvernement s'est attiré les foudres de l'opposition. Invité politique de "La Matinale", jeudi 17 juillet, Karim Bouamrane, maire PS de Saint-Ouen-sur-Seine et vice-président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, charge face à Alix Bouilhaguet le programme proposé mardi 15 juillet par le locataire de Matignon.
Ce texte correspond à la retranscription d'une partie de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.
Alix Bouilhaguet : Mardi, le Premier ministre présentait les grandes orientations de son budget. Il a frappé fort avec un plan sur quatre ans, et près de 44 milliards d'euros d'économies à réaliser dès 2026. Est-ce que vous partagez son constat ? Est-ce que c'est la dernière station avant la falaise et l'écrasement de la dette ?
Karim Bouamrane : Monsieur Bayrou voulait nous faire du Churchill. Margaret Thatcher, mais sans vision politique, même si je ne partageais pas du tout la vision politique de Madame Thatcher.
Mais il exagère, il n'y a pas une urgence absolue sur la dette de la France ?
La dette française est effectivement dans une situation très compliquée, mais ce qui est encore plus compliqué, c'est la trajectoire politique dans laquelle il nous a mis. On n'a pas d'espoir, on n'a pas d'espérance. Le budget, c'est un moyen, ce n'est pas une finalité. Aujourd'hui, effectivement, nous sommes à 5-4 % en termes de déficit, et on a une trajectoire budgétaire de moins de 3 % pour 2029. Il fallait passer par une épure budgétaire de désendettement.
Ce n'est pas ce qu'il a fait ? Comment vous le qualifiez d'ailleurs, ce budget ? Lui, il parle d'un budget exigeant. Pour vous, c'est quoi ? Un budget d'austérité, de rigueur, de sang, de larmes ?
C'est un budget d'une incurie politique incroyable. C'est-à-dire qu'on n'a aucune vision, concrètement. Si vous dites aux Français et aux Françaises, vous allez avoir un meilleur service public, une meilleure santé publique, plus de moyens en termes de sécurité, plus de policiers, plus d'éducateurs... Donc, une trajectoire politique et des moyens. Là, aujourd'hui, Monsieur Bayrou a réussi ce qu'on appelle un strike. Aucune formation politique n'a validé la trajectoire budgétaire qu'il nous a donnée. Oui, ils font un désendettement, mais ils ne font pas un projet politique. Donc la situation politique du pays est catastrophique. Le pouvoir d'achat, les retraités, les classes moyennes, la sécurité et les collectivités territoriales. C'est une catastrophe.
On entre dans le détail de ses propositions. Il a confirmé effectivement une année blanche, c'est-à-dire le gel de toutes les prestations sociales et des pensions, du barème de l'impôt sur le revenu, des salaires des fonctionnaires, sans tenir compte de l'inflation. Finalement, tout le monde prend sa part. Est-ce qu'il n'y a pas une forme de justice ?
Non, non, non, tout le monde ne prend pas sa part, Madame. Et les grandes fortunes ?
Les grandes fortunes auront une contribution spécifique.
Quand et combien ? Donc on avait une mesure qui faisait l'unanimité à gauche. Première formation qui arrivait première lors des dernières élections, parce qu'il y a quand même eu un marqueur politique. On ne part pas de rien. Avec ne serait-ce que la taxe Zucman, on aurait pu avoir la moitié de l'épure budgétaire sur laquelle Monsieur Bayrou s'était focalisé. Et je me pose la question, huit mois pour nous pondre ce sujet-là ? Huit mois, huit mois pour faire en sorte que les Françaises et les Français vont se retrouver sur le carreau pour les cinq prochaines années ? Mais où est l'espoir ?
Mais je ne comprends pas, cette année blanche, qu'est-ce que vous lui reprochez à cette année blanche ?
Très concrètement, cette année blanche, en tant que maire de Saint-Ouen, ça signifie moins de 5 milliards pour tous mes collègues maires et tous les collègues responsables des collectivités territoriales. Ça signifie moins de moyens pour les policiers municipaux. Ça signifie moins de moyens pour une politique de l'enfance. Ça signifie moins de moyens pour l'égalité femme-homme. Ça signifie moins de moyens pour soigner les Français et les Françaises. Monsieur Bayrou, je l'invite à venir un matin ou un soir aux urgences. Il va comprendre l'état du pays. Moi, ce que je reproche, ce n'est pas de faire preuve d'une immaturité politique sur notre trajectoire financière. Oui, bien sûr, il faut que notre pays se redresse sur le plan des finances, sur le plan des finances publiques, sur le plan de la gestion des finances. Vous savez ce que je reproche ? C'est que derrière, quand vous regardez ce projet, cette épure budgétaire, je pense à mes enfants, je pense à nos enfants, ceux qui sont ancrés dans le 21ème siècle. Quel est l'espoir, quelle est l'espérance ?
Mais il remet quand même la valeur travail au centre du projet. L'accent est justement mis sur les jeunes, sur les seniors. Une réforme du droit du travail pour faciliter le recrutement, de simplification, de compétitivité. Il s'attaque aussi, peut-être plus à la marque, mais à des réformes structurelles.
Monsieur Bayrou est totalement à côté de la plaque. Le travail ne paie plus. Aujourd'hui, c'est le capital qui paie. Aujourd'hui, c'est l'héritage qui paie. Moi, j'aurais souhaité que, justement, s'il part sur une trajectoire budgétaire de 2,8 % pour 2029, qu'il s'attaque aux gros revenus, qu'il s'attaque aux héritiers et pas du tout à la valeur travail.
Mais encore une fois, les plus hauts revenus vont écoper d'une contribution de solidarité. François Bayrou veut aussi traquer les fraudes, l'optimisation fiscale. Normalement, la gauche devrait applaudir.
Il y a un rapport excellent de mon collègue et ami Fabien Gay, sénateur communiste, où il parle justement de la contrepartie des aides de nos entreprises à 200 milliards. Donc vraiment, le minimum, on aurait pu aller chercher 10 %, 20 milliards. Avec la taxe Zucman, c'est 20 milliards. Là, il nous dit : "On sait très bien qu'on va taper sur les personnes porteuses de handicap, les collectivités territoriales, les politiques écologiques, les politiques de protection sociale, les retraités, les classes moyennes, le logement", et derrière, il nous dit, "Ne vous inquiétez pas, les grandes fortunes vont pouvoir être taxées". Bah non, j'ai du mal à y croire. Et la question, c'est que, est-ce que Monsieur Bayrou cherche à préparer sa sortie ? Ou est-ce qu'il veut faire preuve d'une responsabilité ? Si oui, il fait preuve d'une responsabilité : qu'il arrête.
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