Au lendemain de la « grande panne », l’Espagne toujours en quête d’explication
Après la grande panne, le grand redémarrage, et la grande enquête. Ce mardi, tous les Espagnols se sont levés soulagés de voir les ampoules enfin répondre aux interrupteurs - 99 % de la demande électrique était satisfaite à 6 heures du matin, selon le Réseau électrique espagnol (REE). Restait la question : qu’est-ce qui a bien pu provoquer un tel chaos, une crise électrique d’une ampleur inédite dans la péninsule ?
Lundi, à 12 h 33, le système national a perdu soudainement 15 gigawatts de puissance, soit l’équivalent de 60 % de la consommation nationale à ce moment précis. En cinq secondes, le pays a été entièrement débranché, de même que le Portugal. Quelque 35.000 personnes se retrouvaient à bord de trains immobilisés ; un nombre indéterminé, bloquées dans des ascenseurs ; trois centrales nucléaires, à l’arrêt ; et la moindre épicerie de quartier, dans l’incapacité d’offrir ses produits, faute de caisse ou de terminal de paiement.
Mardi, le grand défi était le rétablissement du transport ferroviaire. D’abord les lignes à grande vitesse les plus fréquentées, Madrid-Barcelone et Madrid-Valence, opérationnelles dès le matin. Parmi les trains de Cercanias, équivalents des TER et du RER, ceux de Madrid étaient les premiers rétablis, ceux de Barcelone parmi les derniers. La situation dans les principales gares de Madrid, d’Atocha et de Chamartin, était encore chaotique, après la nuit passée à même le sol par des milliers de passagers.
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Ruée sur le papier toilette et les piles
Dans l’industrie, explique Pedro Aznar, professeur à l’école de commerce Esade, « l’incidence est différente selon les secteurs : les fours à forte consommation électrique, certaines usines ou les raffineries peuvent mettre plus d’un jour à retrouver leur production normale. Côté services, la restauration et le commerce sont clairement ceux qui ont le plus souffert. » L’économiste estime qu’entre 0,1 % et 0,3 % du PIB annuel pourraient être perdus.
Dans les rues, quelques séquelles étaient visibles. Dans le quartier de Moncloa, un fast-food ne sert ni frites ni hamburgers tandis que dans les supermarchés, les clients font des réserves de papier toilette, comme au temps du Covid, et - c’est nouveau - de piles électriques. Tous les distributeurs de billets n’étaient pas rétablis. Dans les écoles, huit régions, dont Madrid, ont suspendu les cours. La Castille-La Manche a directement fermé ses établissements.
Parmi les explications à la « méga-panne », REE en a éliminé une. « Selon nos analyses, nous pouvons écarter un incident de cybersécurité dans les installations du réseau électrique », a déclaré Eduardo Prieto, le directeur des opérations de l’entreprise. Après avoir consulté le Centre national du renseignement (CNI) il exclut « tout type d’intrusion dans les systèmes de contrôle ». Le président du gouvernement, Pedro Sanchez, a tout de même annoncé une analyse indépendante et la création d’une commission d’enquête gouvernementale. Et la justice a ouvert une instruction par l’Audience nationale, le tribunal spécialisé dans les affaires pénales d’échelle nationale, dont le terrorisme.
«Aucun phénomène météorologique inhabituel détecté»
Une autre piste, évoquée par un communiqué attribué au gestionnaire du réseau portugais, mais dont ce dernier a nié quelques heures plus tard la paternité, attribuait l’incident à « un événement atmosphérique rare » qui se serait manifesté par des variations brusques de températures. Pour l’Agence météo (Aemet), « le 28 avril, aucun phénomène météorologique ou atmosphérique inhabituel n’a été détecté ».
Reste le problème technique, explication privilégiée par REE sans que des conclusions complètes ne soient apportées. Le réseau cite deux « événements dans le système électrique, compatibles avec une perte de génération dans la région sud-ouest de la péninsule espagnole ». Les experts désignent du doigt l’énergie solaire, dont l’Estrémadure, indirectement citée, est leader, et qui ne s’adapte pas facilement aux fluctuations de la demande.
Aux défenseurs de l’énergie nucléaire, qui affirment qu’un apport plus significatif des centrales (elles fournissent environ 20 % du courant) aurait pu stabiliser la production, Sanchez a répondu qu’ils « mentent ou démontrent leur ignorance ». Selon le chef de l’exécutif, « les centrales ont représenté un problème parce qu’elles étaient à l’arrêt (pour trois d’entre elles, NDLR) et qu’il a fallu dévier de grandes quantités d’énergie pour garantir leur stabilité ». Le premier ministre a assuré que les opérateurs privés seraient mis face « à leurs responsabilités » si celles-ci étaient mises en cause.