REPORTAGE. "Montmartre n'a pas besoin de promotion" : le ras-le-bol de certains habitants du célèbre quartier parisien face au surtourisme
C'est le monument le plus visité de France : le Sacré-Cœur à Paris, avec ses 11 millions de visiteurs par an, presque deux fois plus que la tour Eiffel et ses six millions. Et au-delà de la basilique, c'est tout le quartier de Montmartre qui charme de plus en plus de touristes. Quitte, parfois, à exaspérer les habitants. Sur les marches, les selfies s'enchaînent devant les dômes majestueux de la basilique, face à une vue imprenable sur Paris.
C'est le monde entier qui se retrouve ici : les touristes viennent de Mongolie, d'Ukraine, en passant par la Corée du Sud, le Royaume-Uni ou encore les États-Unis. Ou plus sobrement, de France.
La promenade, dans les rues pavées et étroites qui mènent aux vignes, au moulin de la Galette ou au buste de Dalida, se fait dans une ambiance de village, comme sur une carte postale que parcourt Jacob, venu d'Allemagne. "Je pense que c'est l'un des endroits les plus connus dans la ville. C'est un incontournable, mais c'est tellement bondé, ce n'est pas si cool...", reconnaît-il.
Un effet Tour de France, JO et "Emily in Paris"
Et ce ne sont pas les habitants qui vont le contredire. Nous avons rendez-vous avec Anne Renaudie, qui vit ici depuis 29 ans. "Là, on est en train de tenter de se frayer un passage. C'est là où ça devient très pénible...", souffle-t-elle, en nous guidant à travers la foule. "Le tourisme a pris le pas sur le riverain", regrette la présidente de l'association Vivre à Montmartre. Avant de reconnaître que même "le tourisme a toujours été assez raisonné. Puis, il y a eu Amélie Poulain [film de Jean-Pierre Jeunet sorti en 2001] il y a 25 ans, et là, on est passés dans une autre dimension."
Anne évoque aussi le succès de la série américaine Emily in Paris, produite par Netflix, qui romance la vie parisienne d'une Américaine, dans un Paris souvent caricaturé à l'écran. Sans oublier, selon elle, un effet post-Covid, avec le début d'un tourisme "quotidien", qui s'est amplifié avec "l'effet JO", notamment depuis mars.
"On voit des groupes de 80 personnes, ce qu'on n'avait jamais vu encore à Montmartre."
Anne Renaudie, habitante de Montmartreà fanceinfo
Et le Tour de France, dimanche 27 juillet, a une nouvelle fois mis en lumière le quartier, traversé par le peloton pour l'étape finale. De quoi faire saturer Anne Renaudie. Parmi "les 92 pays dans lesquels le Tour de France est diffusé, les gens auront envie de venir voir ce quartier", selon elle. "Montmartre n'a pas besoin de promotion. Montmartre a besoin de régulation", lance l'habitante. Un peu amère, elle imagine parfaitement "quelqu'un qui va installer un business de vélo à louer en bas de la rue Lepic, pour monter la fameuse rue qui a accueilli le Tour et les JO, et il y aura un photographe au milieu de la rue qui prendra une photo à 20 ou 30 euros".
Et justement, au même moment, un cycliste passe devant elle en train de se filmer. "J'ai dit prendre en photo, j'ai été vieux jeu. C'est se filmer en fait ! On va monter un business où on va filmer les gens qui montent la rue Lepic. Voilà l'avenir", rigole-t-elle. Des vélos qui se mêlent au bruit des valises à roulettes, des tuk-tuk ou des Citroën 2 CV touristiques. Le seul bus de la RATP qui monte sur la butte a parfois bien du mal à se frayer un chemin.
Un surtourisme qui transforme toute l'économie du quartier
En haut de la butte, la dernière boulangerie a laissé place à un magasin de souvenirs où l'on vend bérets et tour Eiffel. Il ne reste plus qu'un dépôt de pain et une pharmacie. Alors certes, les bars et les restaurants font le plein, mais ce n'est qu'une partie de l'économie du quartier. "Les touristes, c'est un peu compliqué", confie Nicole, l'une des 250 artistes peintres de la place du Tertre, un des symboles du cœur de Montmartre. Elle voit bien l'évolution de la fréquentation, avec "beaucoup de voyages organisés, de trucs comme ça où tout est inclus." Mais ça ne la fait pas plus vendre, se désole-t-elle : "Ils ne sont pas obligés d'acheter."
"Les gens n'ont pas forcément d'argent. Par contre, c'est une super balade pour eux. Ils regardent toutes nos œuvres et surtout les portraits et les caricatures."
Nicole, artiste de la rue du Tertreà franceinfo
Installée depuis 1969, son espace s'est réduit considérablement, avec désormais un peu plus d'un mètre carré pour deux. Nicole craint de voir les artistes de Montmartre disparaître petit à petit.
Une explosion des prix de l'immobilier
Les habitants craignent aussi de voir la population s'embourgeoiser encore davantage. Depuis novembre, des affiches se déploient sur les façades "Montmartre en résistance". Comme ici, au pied du château d'eau, pour dénoncer le plan de piétonisation de la mairie. Plus de 700 places de stationnement pourraient être supprimées à terme dans le quartier. Alors avec d'autres associations d'habitants, Anne Renaudie a lancé une pétition.
"Ici, en bas, au 20 de la rue du Mont-Cenis, il y a un monsieur qui part travailler à 4 heures du matin, décrit-elle. Sans sa voiture, concrètement, il ne peut pas partir. Est-ce que c'est la politique de la ville de Paris de dire 'Eh ben tant pis pour vous. Ici, c'est un quartier touristique, on va le rendre piétonnier, mais au détriment des habitants' ?"
/2025/07/29/thumbnail-img-6473-68892566236d4331376931.jpg)
En parallèle, ce quartier de 30 000 habitants a connu une explosion des prix de l'immobilier. "On est autour des 12 000 euros du mètre en moyenne, constate le directeur de l'agence Immopolis, Brice Moyse. Ce qui ne veut pas dire qu'on n'a pas des choses qui partent à 20 000 euros avenue Junot." Des prix qui s'expliquent, entre autres, à cause du boom des Airbnb entre 2015 et 2020.
"Je raconte souvent cette histoire de ce propriétaire qui s'est retrouvé tout seul comme habitant dans son immeuble et qui a été en fait en copropriété qu'avec des SCI [société civile immobilière]", raconte Brice Moyse. Un propriétaire qui a fini par vendre son appartement, à cause, notamment, du balai des "montées de valises dans les escaliers". Même si la mairie de Paris a réduit en début d'année le nombre de nuitées à 90 par an sur la plateforme, ce n'est pas suffisant pour les habitants qui se sentent un peu débordés.