Après quatre mois d’emprisonnement, l’inquiétude grandit pour Boualem Sansal

Quatre longs mois se sont écoulés depuis l’arrestation de Boualem Sansal, le 16 novembre dernier à l’aéroport d’Alger. Ce mardi, Me François Zimmeray, chargé de la défense de l’écrivain algérien de langue française, faisait part de sa vive inquiétude lors d’une conférence de presse au siège de Gallimard : « Près de quatre mois après son incarcération, j’attends toujours la réponse à mes deux demandes de visa et je suis obligé de me rendre à ce constat : je n’ai pas pu aller auprès de mon client, je n’ai pas pu accéder au cabinet du magistrat instructeur, je n’ai pas pu voir les charges qui pèsent contre Boualem Sansal. Par conséquent, sa défense est aujourd’hui impossible. Et lorsqu’une défense est impossible, lorsque les droits de la défense sont rendus impossibles par le discrédit de l’avocat, par l’impossibilité physique d’exercer son métier, il ne peut pas y avoir de procès équitable. La détention est arbitraire. »

L’avocat ne cache pas son amertume après avoir choisi la stratégie de l’apaisement et de la modération. Mais visiblement, le régime algérien n’en a cure. François Zimmeray a lui-même fait l’objet d’une campagne de dénigrement au plus haut niveau. Aujourd’hui, il est conscient que cette posture n’a pas porté ses fruits. Bien au contraire, il a souligné que le président Tebboune, au mépris de la présomption d’innocence et de la séparation des pouvoirs, a déclaré coupable Boualem Sansal, sans jugement, devant les deux chambres du Parlement algérien réunies.

Les conditions de détention de Boualem Sansal ne font qu’empirer

L’attitude des autorités algériennes conduit l’avocat à se montrer désormais plus offensif. « Je ne peux pas faire mon travail de défenseur, a-t-il martelé, je dois en tirer les conséquences. » Aussi a-t-il décidé de saisir, dès ce mercredi, les organes de l’ONU et toutes les instances dans lesquelles l’Algérie est présente pour dénoncer le caractère arbitraire de cette détention et les violations des traités définissant le procès équitable. Me Zimmeray va actionner « les “procédures spéciales” des Nations unies, à la fois pour ce qui concerne l’indépendance des juges et des avocats, l’indépendance de la justice et les violations de la présomption d’innocence et de la séparation des pouvoirs qui sont la base de toute procédure judiciaire, de tout procès équitable. Partout où cela sera possible, nous saisirons le droit diplomatique et judiciaire pour dénoncer cette détention », a-t-il souligné.

Les conditions de détention de Boualem Sansal ne font qu’empirer. Aux dernières nouvelles, qui remontent à une quinzaine de jours, Me Zimmeray a appris que l’écrivain, à deux reprises, avait fait l’objet de pressions et de manipulations pour changer d’avocat. En signe de protestation, il avait évoqué l’hypothèse d’une grève de la faim qui, à ce jour, semble ne pas avoir eu lieu. « C’est à ce moment-là qu’il a été mis au secret absolu, lui et ses proches, c’est-à-dire que c’est un couvercle de peur, de menaces et d’intimidation qui s’est abattu sur lui et son entourage. » Combatif, il a au contraire voulu changer d’avocats algériens, précisément ceux qui lui enjoignaient de congédier Me Zimmeray. Si jusqu’ici on arrivait à avoir quelques nouvelles de l’écrivain, depuis ces dernières semaines, c’est le black-out total. Selon les derniers éléments de François Zimmeray, Boualem Sansal commençait à perdre le moral. Il a même parlé de « dépression ». Rappelons que le romancier, âgé de 80 ans, est également malade. « C’est vraiment un degré de détention particulièrement renforcé, que rien ne justifie si ce n’est une volonté de persécution d’un otage », selon l’avocat.

L’incertitude dans laquelle nous sommes à l’égard de la situation judiciaire de Boualem Sansal ne fait que confirmer que celle-ci est d’abord liée à un calendrier politique et diplomatique sur lequel nous n’avons pas prise

Antoine Gallimard

À ce jour, une source informée affirme que Boualem Sansal est interné à l’hôpital Mustapha. Seule son épouse continue de bénéficier d’un droit de visite mais qui lui est consenti au compte-goutte.

En saisissant les instances internationales, y compris l’Union africaine, l’avocat espère toucher l’Algérie sur l’image qu’elle leur renverrait. Elle est actuellement membre du Conseil de sécurité des Nations unies. Las, le temps compte et ces procédures sont toujours longues.

Sansal, «otage de la relation dégradée entre la France et l’Algérie»

Présent à la conférence de presse, Antoine Gallimard a confirmé qu’il était de plus en plus difficile d’avoir des informations - elles sont rarement confirmées officiellement, même par le bâtonnier d’Alger. « Nous sommes dans le plus grand flou à cet égard, et cela est extrêmement préoccupant. Pour ma part, je n’ai rien reçu de Boualem Sansal ni de sa famille ni de quiconque, confirmant ou infirmant telle ou telle information. » Le PDG de la maison d’édition est déterminé à organiser régulièrement des points presse jusqu’à la libération de l’écrivain « afin de maintenir en éveil notre vigilance, ne pas nous résoudre au silence et appuyer nos actions de sensibilisation sur des informations sûres ».

François Zimmeray et Antoine Gallimard partagent la même conviction : l’auteur du Serment des barbares est clairement l’otage de cette relation dégradée entre la France et l’Algérie. Sans doute que la solution passera par les voies diplomatiques. L’éditeur l’a d’ailleurs souligné : « L’incertitude dans laquelle nous sommes à l’égard de la situation judiciaire de Boualem Sansal ne fait que confirmer que celle-ci est d’abord liée à un calendrier politique et diplomatique sur lequel nous n’avons pas prise. »