Foot : comment la préparation mentale s'est immiscée dans le quotidien des Bleues

À moins de quatre mois du début de l'Euro féminin en Suisse (du 2 au 27 juillet), c'est une répétition générale pour l'équipe de France, qui affronte vendredi 4 avril le pays hôte à 20h en Ligue des nations. Des Bleues qui comptent dans leur rang un préparateur mental, Thomas Sammut. Intégré dans le staff technique par le sélectionneur Laurent Bonadei, il s'est laissé tenter par cette aventure humaine et collective. Un défi au sein d'une équipe qui reste sur plusieurs contre-performances, notamment une élimination en quarts de finales aux JO de Paris, l'été dernier, et au Mondial 2023.

À Clairefontaine, au centre d'entraînement des Bleues, sur le terrain Michel Platini situé en contrebas du château, la séance matinale bat son plein. Le préparateur physique Thomas Pavillon et l'entraîneure adjointe Sabrina Viguier donnent de la voix face à des joueuses tout sourire.

En retrait sur le terrain, le sélectionneur national Laurent Bonadei échange de longues minutes avec une silhouette désormais familière pour les joueuses et l'encadrement : Thomas Sammut. Le préparateur mental fait partie du staff technique, une première dans l'histoire de l'équipe de France femme et homme confondu, une évidence pour Laurent Bonadei : "On se connaît depuis 2016, lors de mon deuxième passage à l'OGC Nice. Je l'avais fait intervenir avec l'équipe réserve et je me suis toujours dit que le jour où je constituerais un staff, je devais y intégrer, en tant qu'adjoint, un préparateur mental."

"Être dans le partage"

Pour autant, cette arrivée n'est pas la conséquence d'une faiblesse mentale. "C'est un peu réducteur de dire qu'elles n'ont pas réussi à cause du mental. Non, elles sont fortes de ce point de vue là", répète Laurent Bonadei, avant de préciser : "Dans le mental, on peut y intégrer le relationnel, la cohésion d'équipe ou encore l'hygiène de vie par exemple. Toutes avaient des petits pas et des progrès à faire." Une remise en question, qui vaut également pour le sélectionneur.

"C’est difficile de déléguer, on a l’impression de lâcher un peu de pouvoir."

Laurent Bonadei, sélectionneur de l’équipe de France féminine

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"Aujourd'hui, le management, c'est aussi donner de la confiance, être dans le partage, savoir qu'on ne peut pas être compétent dans tous les domaines", ajoute Laurent Bonadei. "Des coaches comme Didier Deschamps ou Hervé Renard excellent dans le domaine, mais Thomas va un peu plus loin, on se rapproche un peu du psychologique. C'est ce qui nous manque un peu pour chercher un trophée, c'est un point sur lequel il fallait apporter un petit plus."

Suivre l'équipe de France en continu, avec en ligne de mire l'Euro en Suisse, est "un vrai challenge pour Thomas", selon le coach des Bleues. Car le préparateur mental est habitué à accompagner des sportifs individuellement, comme Léon Marchand ou Florent Manaudou, ou à intervenir ponctuellement avec des équipes. Il s'est laissé tenter par le projet "parce qu'il y a Laurent (Bonadei)", ajoutant : "Ma présence a été facilitée par l'envie des joueuses d'avoir un suivi en préparation mentale. C'était déjà un souhait de leur part."

La milieu de terrain Sandie Tolletti confirme être suivie individuellement par un préparateur mental : "Cela s'est fait naturellement, c'est un outil en plus comme le sont les kinés ou l'analyste vidéo. Cela se passe très bien, il a donné son ressenti et on travaille en conséquence." "On a un entraîneur qui est très humain, abonde la gardienne Pauline Peyraud-Magnin. Il aime glaner des infos, savoir comment on est physiquement, si tout le monde va bien. La présence de Thomas, c'est aussi avoir quelqu'un qui nous aide."

"Il faut être capable de se libérer individuellement"

Un travail individuel sur les joueuses a été lancé à travers des entretiens menés par Laurent Bonadei depuis sa prise de fonction, avec un mantra : être soi-même. "Pour construire un collectif, il faut d'abord être capable de se libérer individuellement", développe le préparateur mental. "Ce n'était pas forcément le cas en raison du poids du conditionnement dans lequel les filles évoluaient, ce qui est tout à fait normal. Le poids des responsabilités, la peur de mal faire, de ne pas être à la hauteur… C'est un peu comme une épée de Damoclès : difficile de se libérer dans ces conditions. Dans un premier temps, nous faisons un travail pour que chacune incarne la joueuse qu'elle aspire à être sur le terrain."

Laurent Bonadei a tenu aussi ce qu'il y ait un suivi des 19 membres qui composent le staff technique, médical et administratif. "On est tous dans le même bateau et on constitue une équipe à part entière", estime-t-il. Travailler sur l'individu, le faire rayonner, pour ensuite parvenir à trouver une osmose collective. La vie de groupe, un enjeu essentiel pour le sélectionneur national et Thomas Sammut. "Le relationnel, c'est un pilier central, et même le plus important à mes yeux, confie le préparateur mental. On a souvent tendance à dire que cette équipe a un problème mental, mais je considère que ce n'est absolument pas le cas. Ce sont des filles qui peuvent être très fortes mentalement. Ce qui a certainement fait défaut, c'est la cohésion d'équipe."

"Avec le staff technique, nous voulons faire en sorte que les filles aient vraiment envie de jouer les unes pour les autres."

Thomas Sammut, préparateur mental de l'équipe de France féminine de football

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Un cadre que les joueuses doivent intégrer, sous peine d'être écartées du projet mis en place par Laurent Bonadei. "Elles le savent, elles connaissent les piliers sur lesquels on travaille. Après, elles adhèrent ou non au message", prévient Thomas Sammut. C'est de leur responsabilité."

Un projet auquel adhèrent les joueuses de l'équipe de France, dont plusieurs ont déjà recours à un préparateur mental à titre individuel. Les clubs étrangers proposent aussi cet accompagnement, notamment au Real Madrid ou à la Juventus Turin, les clubs de Sandie Tolletti et Pauline Peyraud-Magnin. "Je suis suivie depuis quatre ans", détaille avec pudeur cette dernière. "Au début, je me disais un peu comme tout le monde : 'Ça veut dire que j'ai un problème'. Il faut savoir que le cerveau joue à 80% sur notre physique, et ça peut aussi avoir des conséquences sur les blessures. J'ai donc décidé de prendre quelqu'un pour mon poste, pour ma vie en général. Je n'arrivais pas à prendre de la hauteur, mais aujourd'hui, c'est le cas."

La préparation mentale reste un sujet loin d'être évident, même si les footballeuses ont moins de freins sur le sujet que leurs homologues masculins. "Avant, c'était un peu tabou, personne ne voulait l'aborder, c'était comme avouer une faiblesse, rembobine Sandie Tolletti. J'ai fait toutes les sélections de jeunes et jamais ce sujet n'a été évoqué. Personne ne nous parlait des questions de santé et préparation mentale. Mais il y a de plus en plus de joueuses et de joueurs qui font appel à des coaches mentaux."

"S'autoriser à rêver plus fort"

"C'est comme un puzzle, il faut imbriquer les bonnes pièces", ajoute Pauline Peyraud-Magnin. "Il va mettre des connexions là où on ne les avait peut-être pas vues et on comprendra aussi mieux les gens. Il veut qu'on soit la meilleure version de nous-même." Pour Sandie Tolletti, "c'est un outil pour progresser".

Si la méthode Thomas Sammut n'en est qu'à ses prémices et qu'il faudra juger à l'aune de plusieurs compétitions, ce travail est abordé avec humilité. "On ne sait pas si ça va fonctionner, et je ne veux pas savoir. Quoi qu'il arrive, nous sommes en train de créer une aventure", avance Thomas Sammut. "Plus cela va aller, et plus elles auront envie d'aller sur ce chemin de la certitude, qui est grisant, car elles vont s'autoriser à rêver plus fort." Et décrocher, pourquoi pas dès l'Euro, ce premier titre tant rêvé pour l'équipe de France féminine dans une grande compétition.