Violences sexuelles : la CEDH condamne encore la France
« Nous sommes satisfaites de cette décision, qui est un soulagement pour la cliente. Elle n’en revenait pas ! », se réjouissent l’avocate Marjolaine Vignola et la juriste de l’AVFT (association européenne contre les violences faites aux femmes au travail), Nina Bonhomme Janotto.
La Cour européenne des droits de l’homme a condamné jeudi la France pour la réponse judiciaire apportée à des accusations de violences sadomasochistes, et réaffirmé que le consentement était « révocable ». « C’est une condamnation assez sévère du travail des autorités françaises, estime maître Vignola. Tant sur le cadre législatif, qui est jugé lacunaire, que sur l’application de la loi par les juges et notamment les juges de la Cour d’appel de Nancy, dont le raisonnement a été jugé culpabilisant, stigmatisant et de nature à décourager les victimes de faire valoir leurs droits devant les tribunaux. C’est quand même assez fort comme formulation. » Et la décision a été rendue à l’unanimité, complète Nina Bonhomme Janotto.
Viols, violences, harcèlement…
En 2013, la plaignante a porté plainte contre son chef de service d’un hôpital public en Meurthe-et-Moselle. Les viols dénoncés n’ont pas été retenus et son supérieur hiérarchique est jugé pour des violences volontaires ayant entraîné une ITT d’un an et pour harcèlement sexuel aggravé.
De nombreux proches et collègues de travail ont pu constater la dégradation de santé physique et morale de la plaignante, mais aussi un dénigrement soudain de son travail par ce supérieur. Un harcèlement dénoncé également par trois anciens collègues ayant obtenu un changement de service. L’un d’eux confiait même avoir eu des pensées suicidaires.
Une ancienne compagne du prévenu témoignait de comportements similaires à son égard, d’une sexualité violente. Elle aussi avait été hospitalisée en institut psychiatrique suite à cette relation. Malgré ce faisceau d’indices, l’accusé a été condamné par le tribunal correctionnel à 10 mois d’emprisonnement avec sursis, puis entièrement relaxé par la Cour d’appel de Nancy.
Une décision qui fait jurisprudence
Après cette décision très sévère de la CEDH, l’AVFT et maître Vignola espèrent une prise de conscience politique du gouvernement sur la question du traitement des violences sexistes et sexuelles. « Les juges des tribunaux, les juges d’instruction, les parquets, les services enquêteurs doivent se saisir de cette jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme comme d’un outil qui leur permet d’avoir une grille d’appréciation et une grille d’enquête », reprend l’avocate.
En effet, la Cour pointe le retard à placer l’individu en garde à vue, à effectuer une expertise psychiatrique. « On n’est pas allé rechercher tous les messages, on a restreint le champ de l’enquête à seulement une partie des faits de violences sexuelles, alors qu’on en avait beaucoup plus dans le dossier », précise le conseil.
La référence de la CEDH à la Convention d’Istanbul (La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique), signée par la France en 2014, réintroduit le consentement au cœur des décisions de justice. Une nouvelle loi, ajoutant cette notion à la définition actuelle du viol, est en cours de discussion au parlement.
Cette nouvelle jurisprudence élargit son appréhension puisqu’elle concerne des actes sexuels commis dans un contexte sadique. Le prévenu s’était en effet prévalu d’avoir contractualisé leurs relations sadomasochistes. La Cour européenne a réaffirmé que « le consentement doit traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances » et que ce consentement était « révocable ». Une décision qui devrait éclairer le prochain procès concernant l’affaire de la plateforme pornographique French Bukkake.
La CEDH estime que les autorités nationales ont manqué à leur obligation de protéger la dignité de la plaignante et condamne l’État a lui versé 20 000 euros pour dommage moral. Mais le calvaire de la plaignante n’est pas pour autant terminé. Elle est convoquée en décembre pour dénonciation calomnieuse.
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